“Eastern Standard Tribe”, de Cory Doctorow

Je vous avais prévenu: je suis dans les bouquins de Cory Doctorow, ces jours-ci. Après Down and Out in the Magic Kingdom et avant Someone Comes to Town, Someone Leaves Town, j’ai fini de lire Eastern Standard Tribe. En fait, si Down and Out… était l’image d’un avenir glorieux et transhumaniste, Eastern Standard Tribe est un peu le contraire: un futur proche, ultralibéralisé et en voie de tribalisation – non selon des habitudes ou des goûts communs, mais selon les fuseaux horaires, pour des bêtes questions de biorythme.

La raison pour laquelle je commence par présenter l’univers dans lequel se déroule le roman est qu’à mon avis, comme avec Down and Out…, c’est l’intérêt principal de l’ouvrage. C’est une peu le défaut commun que je trouve à ces deux premiers romans de Doctorow: j’ai du mal à m’intéresser à l’intrigue, pleine de trahison et de maladie mentale, et aux personnages, que je trouve un chouïa fades.

Cela dit, je dois être honnête: l’intrigue gagne ici beaucoup par l’astuce narrative utilisée par l’auteur: proposer deux fils distincts. Le premier fil, à la première personne, est celui du protagoniste qui, alors qu’il est dans une merde noire, raconte dans le second fil et à la troisième personne les événements qui ont conduit à cette merde noire en question. Trahison et tout le toutim.

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“Down and Out in the Magic Kingdom”, de Cory Doctorow

Cory Doctorow est un auteur que j’apprécie pour ses écrits sur le site BoingBoing et, souvent, pour ses prises de position sur des domaines tels que la sécurité, la liberté et les droits fondamentaux. Je l’avais déjà découvert comme romancier avec Little Brother, chroniqué ici-même l’année passée (ha! ha! on peut désormais dire “l’année passée” pour 2009!) et, pour le coup, je me suis fait offrir tous ses romans à Noël.

J’ai commencé par Down and Out in the Magic Kingdom (“Dans la dèche au Royaume Enchanté” en français), ce qui n’est probablement pas le bon ordre chronologique, mais tant pis. Le roman suit Jules, un p’tit jeune de moins de cent ans qui, en cette fin de XXIe siècle qui a vu la fin de la rareté, de l’argent et de la mort elle-même, réalise enfin son rêve de vivre à Disney World. Oui, le Disney World, en Floride. Tout va bien, jusqu’au jour où il est assassiné (ce qui en soi n’est pas très grave: il est cloné et ses connaissances régulièrement mises à jour) et que, dans le même temps, une bande de concepteurs rivaux tentent de mettre la main sur son attraction préférée.

Je soupçonne qu’à sa sortie, en 2002, l’univers décrit dans Down and Out in the Magic Kingdom devait être à la pointe du courant transhumaniste, avec la Culture de Iain Banks, L’Âge du Diamant de Neal Stephenson et quelques autres fondus de la même eau. Depuis, les principes qui s’y étalent ont été repris et, si je puis dire, banalisés. Il n’empêche que, plus que les personnages eux-mêmes, c’est la “société Bitchun” – où la réputation, ou “whuffie” a remplacé l’argent – qui est au centre de l’histoire.

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“Rats, Bats and Vats”, d’Eric Flint et Dave Freer

Si ma chère et tendre n’avait pas passé son temps à hurler de rire en lisant Rats, Bats and Vats (et sa suite, The Rats, The Bats and The Ugly), il est fort possible que je sois complètement passé à côté de ce délirant duo science-fictionesque signé Eric Flint et Dave Freer.

La colonie terrienne au nom improbable de Harmony And Reason, fondée sur les principes de la Société des Fabiens, est attaquée par une race extra-terrestre insectoïde, les Magh, qui commence à en faire de la pâtée pour asticots. Au cours d’une énième offensive ennemie, le soldat Chip Connolly se retrouve coincé derrière les lignes, seul humain au milieu d’un groupe composé de rats et de chauve-souris dotés de conscience.

C’est à ce stade qu’il est de mon devoir de vous informer que ce livre est à Starship Troopers ce que La Septième Compagnie est à Apocalypse Now!. En plus drôle.

Le domaine des deux bouquins est clairement le pastiche de science-fiction militaire, avec un héros moyennement compétent assisté de compagnons d’infortune particulièrement agités du ciboulot. Les rats pensent à trois choses: manger, boire et baiser (pas forcément dans cet ordre) et les chauve-souris sont des révolutionnaires fanatiques des explosifs. Rajoutons à ce tableau un intérêt romantique, sous la forme de la jeune héritière de la plus grande fortune de la planète, enlevée par les Magh et libérée par Nos Héros™, ainsi qu’un état-major particulièrement incompétent.

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“Halting State”, de Charles Stross

Si je vous dis que Halting State, roman de Charles Stross, parle d’une équipe d’audit envoyée pour enquêter sur un braquage de banque, vous devriez vous demander ce qui justifie ce billet.

Il faudrait peut-être que je précise que le braquage a été réalisé par une bande d’Orques et un Dragon dans la banque d’un jeu vidéo en ligne, gérée par une compagnie de gestion de biens virtuels qui vient juste de lancer son introduction en bourse, le tout se passant dans une Écosse indépendante en 2017.

Dans le genre plutôt encombré du thriller technologique post-cyberpunk, Halting State a plus d’un atout: d’une part, il est écrit par quelqu’un qui a été informaticien à l’époque des premières dot-coms et qui sait de quoi il parle.

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“Jouer avec l’Histoire”

Je dois avouer avoir affiché un certain scepticisme vis-à-vis du projet “L’Atelier du jeu de rôle », dont le premier volume, Jouer avec l’Histoire, vient de sortir chez Pinkerton Press. L’idée d’écrire sur le jeu de rôle a un côté “nombrilisme pour Auteur Pédant” (™ Antonio Bay) dont l’utilité première m’échappait quelque peu.

La lecture de l’ouvrage a en grande partie dissipé mon scepticisme: Jouer avec l’Histoire est une fort intéressante collection d’articles sur l’écriture rôlistique et les termes qu’elle traîte et devrait intéresser tous les auteurs de jeux ou, plus modestement, de scénarios.

Le livres divisé en trois thèmes autour de l’Histoire: dans un premiers tiers, trois auteurs de jeux historiques (Te Deum pour un massacre, Pavillon noir et Maléfices) expliquent leur démarche. Les trois articles suivants explorent le jeu dans un contexte historique, alors que les trois derniers traitent des thèmes sensibles. Le tout est complété par des encadrés traitant de thèmes connexes ou revenant sur des points précis et une introduction présente l’ensemble du projet.

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“La chambre mortuaire”, de Jean-Luc Bizien

Je me dois d’avouer en préambule que c’est mon rôliste intérieur qui m’a fait prendre La chambre mortuaire au kiosque de la Gare de Lyon. En effet, ce roman policier est signé Jean-Luc Bizien, auteur d’Hurlements, entre autres.

Bonne pioche! Sans être un chef-d’œuvre, c’est une lecture plaisante, principalement pour son ambiance. L’histoire suit une jeune anglaise, Sarah Englewood, qui est engagée par Simon Bloomberg, aliéniste atypique dans le Paris des années 1880. Autour de ce dernier, de sa femme égyptologue et de son hôtel particulier aux faux airs de pyramide, une sombre histoire se trame.

Ambiance, donc; maître-mot de l’ouvrage, plus encore que l’intrigue. Une ambiance à base d’un Paris de la fin du XIXe siècle, où s’entrechoquent modernité et archaïsmes, classes populaires et bourgeoisie à la respectabilité discutable, raison et occultisme. L’écriture est également au diapason de l’époque, même si j’ai cru relever quelques anachronismes.

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“Après la démocratie”, d’Emmanuel Todd

Pour mon plus grand malheur (enfin, surtout celui de mes proches), j’ai développé depuis une quinzaine d’années un intérêt prononcé pour la politique française. Tiens, depuis que j’ai récupéré ma nationalité française, en fait… C’est pour cela que j’ai acheté le dernier ouvrage d’Emmanuel Todd, Après la démocratie.

Au début, j’ai eu un peu peur de tomber sur un énième pamphlet; comme je l’avais déjà expliqué sur l’ancien blog avec les derniers ouvrages de François Ruffin et Philippe Val, j’ai de plus en plus de mal avec les pamphlétaires. Dans le cas présent, si l’ouvrage d’Emmanuel Todd commence par une charge en règle contre Nicolas Sarkozy, son être et son action, ça ne dure heureusement pas.

Emmanuel Todd prend comme base ce portrait à charge et pose que l’élection d’un tel individu à la présidence française n’est pas un accident, mais le symptôme d’un mal plus profond. S’appuyant sur des données historiques et anthropologiques, il s’efforce de détailler les contraintes et les tiraillements de la société française actuelle.

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“Little Brother”, de Cory Doctorow

Il y a des livres dont la lecture, sans être particulièrement laborieuse, peut tirer en longueur; il y en a d’autres qui se dévorent plus qu’ils ne se lisent. Little Brother, de Cory Doctorow, tombe clairement dans la seconde catégorie.

Little Brother raconte comment, à la suite d’une attaque terroriste, San Francisco devient une sorte d’État policier sous la coupe arbitraire de Département de la sécurité intérieure américain (Department of Homeland Security, DHS). Il raconte surtout comment un ado (le narrateur) se retrouve mis au secret pendant plusieurs jours parce qu’il se retrouvait au mauvais endroit au mauvais moment — et surtout son combat pour mettre un terme aux agissements du DHS.

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“Le carnet noir”, de Ian Rankin

Je viens de finir Le carnet noir, de Ian Rankin. Ce n’est pas un recueil de bêtises pour rôlistes, mais un polar qui se passe à Edinburgh, en Écosse.

Le héros est un flic à moitié loser, qui se retrouve à enquêter sur une vieille affaire d’hôtel incendié où on a retrouvé un cadavre. Il y a un côté Chabrol, pour l’ambiance glauque de la ville de province avec ses notables plus ou moins véreux et ses secrets cachés. Il y a un petit côté rock n’roll avec un sosie d’Elvis et des étudiants qui écoutent les Stones. Il y a surtout un gros côté polar.

Mon plus gros problème est que je ne croche pas à l’ambiance polar. La lecture est dans l’ensemble plaisante et l’intrigue tient à peu près debout, mais j’ai du mal à me passionner pour cela. J’ai aussi du mal avec certains côtés de la traduction: si, dans l’ensemble, le style est alerte et agréable, il utilise des transpositions franchouillardes (notamment de noms de magasins) qui jurent dans le paysage écossais.

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“Worldwar”, la tétralogie de Harry Turtledove

Dans le vaste foutoir qu’est le genre science-fiction, il y a un style qui me branche particulièrement, c’est l’uchronie. C’est pourquoi, au détour d’une librairie à Kyoto, je me suis lancé dans la tétralogie Worldwar de Harry Turtledove, l’un des grands maîtres de l’histoire alternative.

En deux mots, une civilisation extra-terrestre débarque sur Terre avec l’intention de coloniser la planète. Problème premier: leurs infos ont huit cents ans de retard et ils n’avaient pas prévu que les autochtones évolueraient aussi vite. Problème second: ils débarquent en 1942.

On suit donc, dans la grande tradition du roman américain, une foultitude de personnages impliqués dans la guerre, en suivant la chronologie des combats; ainsi, on apprend souvent les conséquences d’une opération vécue par un personnage au travers des commentaires d’autres personnages, ce qui permet à l’histoire de se dérouler de façon assez fluide.

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“Matter”, de Iain M Banks

Je viens de terminer Matter, le dernier roman de l’écrivain de science-fiction écossais crypto-communiste Iain M Banks, qui a pour cadre la “Culture“. Comme souvent, ça dépote pas mal.

La particularité de ce pavé de près de 600 pages, c’est qu’il suit plusieurs histoires en parallèle, histoires qui finissent bien entendu par se retrouver: les protagonistes sont trois des enfants d’un roi, mort sur un champ de bataille: l’un est le prince en titre, l’autre est le fils prodige, présumé mort mais en fait poursuivi par les hommes du régent, et la troisième est devenue une sorte d’ambassadrice auprès de la Culture, ce qui la sauve de sa condition de femme dans une civilisation semi-industrielle.

Avec Banks, on a souvent plus des histoires à personnages que des grandes fresques. Dans Matter, certes, il y a des Choses Qui Se Passent, mais on sent bien que ce sont les personnages eux-mêmes qui sont plus importants. Ça donne le côté frustrant que les évènements à l’échelle cosmique qui se déroulent, d’une part ne démarrent réellement que dans le dernier quart du bouquin et, de plus, sont réglés en quelques pages.

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“Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous”, de Philippe Val

En ces jours où, dans certains lieux, le terme “social-démocrate” est devenu un gros mot, je viens de finir le dernier livre de Philippe Val. Rien que le titre “Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous” est garanti pour faire grincer des dents ceux qui n’aiment pas le personnage (ou qui n’aiment pas Michel Sardou).

J’y ai trouvé du bon et du moins bon. Je pars déjà avec un avis favorable: j’aime bien ce qu’écrit Val. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, mais, passé quelques tics de langage et une tendance à faire dans le verbeux, je trouve la plupart de ses arguments intelligents ou, à tout le moins, réfléchis.

Le bon, c’est toute la partie autour du procès des caricatures. Val nous emmène dans les coulisses de cet évènement. Bien sûr, on y verra une nette tendance à l’autopromotion ou à l’autocongratulation; d’un autre côté, il n’y a pas non plus tromperie sur la marchandise. Il y a même des parties franchement hilarantes, comme les interventions de Claude Lanzmann.

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“La Guerre des Classes”, de François Ruffin

À force de fréquenter des forums hantés par des chancres de l’ultra-gauche (tendance rôliste), ça devait arriver: j’ai fait le plein de littérature subversive à Paris, il y a trois semaines. J’ai donc lu, entre autres, La guerre des classes de François Ruffin.

C’est la faute de Loris. Il se reconnaîtra. Les services de police aussi.

C’est un livre qui revient sur le fait que la notion de “guerre des classes” a complètement été évacuée du discours politique mondial en général et français en particulier, alors qu’il est plus que jamais d’actualité. Il y a là beaucoup de témoignages directs (Ruffin est entre autres animateur de l’émission de radio “Là-bas si j’y suis” sur France-Inter et a rencontré pas mal de monde au cours de ses pérégrinations), de la recherche et énormément d’énergie et d’implication personnelle. Trop, peut-être.

À sa lecture, j’ai ressenti un double sentiment de malaise; triple, si on compte le fait que je l’ai lu dans le bus et que ça me rend malade. Le premier est évident pour quelqu’un qui prétend, comme moi, avoir une susceptibilité de gauche: une grande partie de la classe politique française qui s’affirme de gauche a complètement perdu pied avec la réalité et navigue à vue dans une bouillie idéologique faite de termes creux ressassés jusqu’à la nausée (des auditeurs) et d’une doctrine socio-économique de centre-droit quasiment assumée.

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“Le Matin des Magiciens”, de Jacques Bergier et Louis Pauwels

J’ai déjà lu des trucs bizarres, mais je crois que Le Matin des Magiciens, de Louis Pauwels et Jacques Bergier, remporte le pompon.

D’une part, ce n’est pas exactement un roman, même s’il contient des éléments romanesques. Ce n’est pas non plus un ouvrage documentaire, même s’il parle d’événements et de personnages historiques. Ça pourrait être une sorte de manifeste, mais sous une forme particulièrement bâtarde.

Objectivement, c’est un mélange d’apparence assez bordélique de témoignages discutables, d’extraits d’ouvrages obscurs, de théories plus ou moins fumeuses et d’expériences personnelles forcément subjectives. Dans les faits, l’ouvrage se veut une introduction à la « réalité fantastique », un principe qui propose d’injecter du fantastique dans le rationnel pour tenter de le faire avancer.

Autant le dire tout de suite : ce n’est pas jeune (il a été écrit vers 1959-1960, soit il y a un peu moins de cinquante ans) et ça se sent dans le style d’écriture. Quelque part, c’est à peu près aussi daté que les bouquins d’érudition de la fin du XIXe siècle – que ce présent livre fustige, d’ailleurs. À la lecture, ce style s’ajoute au côté bordélique de la structure. En d’autres termes, j’ai connu plus lisible.

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“Les spectres de Cheyne Walk”, de Gérard Dôle

Carnacki, le chasseur de fantôme imaginé par William Hope Hodgson au début du XXe siècle, est un de mes personnages préférés. C’est une sorte de Sherlock Holmes du surnaturel, qui affronte les phénomènes de hantise armé de ses connaissances scientifiques et mystiques; parfois la hantise s’avère être du flan, parfois pas.

Récemment, le français Gérard Dôle s’est amusé à reprendre le personnage pour neuf autres aventures, ou “mésaventures” comme les décrive le sous-titre de l’ouvrage Les spectres de Cheyne Walk. Difficile de dire s’il s’agit là d’un hommage ou d’un pastiche – probablement un peu des deux.

En replaçant Thomas Carnacki dans un contexte historique et en le faisant interagir avec des personnages de l’époque, réel ou fictif – y compris les quatre amis qui servent d’auditoire aux péripéties du héros, qui deviennent Oscar Wilde, Jerome K Jerome, Bram Stoker et Hodgson lui-même – il lui donne une autre dimension. Le problème vient de la dimension en question: à force de vouloir introduire des icônes de la littérature de la fin du XIXe siècle, j’ai un peu l’impression que l’auteur en fait trop.

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“Engines of Light”, de Ken MacLeod

Au cours du XXIe siècle, une station spatiale euro-soviétique annonce un premier contact avec une entité extra-terrestre. La nouvelle sème un certain souk sur une Terre en proie à une nouvelle Guerre froide depuis que l’URSS est revenue d’entre les morts géopolitiques et a pris le contrôle de l’Europe: espionnage, propagande, pressions et trahisons fusent …

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