L’art de la mise en page consiste à mettre ensemble texte et images, de façon à ce que l’un soit lisible et l’autre visible. J’ai bien dit “art” – pas tant parce que je suis un incurable snob qui préfère se la donner “artiste maudit” plutôt que d’avouer être un obscur tâcheron, mais bien parce que, malgré toutes les recettes possibles et imaginables, le résultat final dépend beaucoup de l’œil de l’auteur et de celui du spectateur.
Personnellement, j’ai tendance à aimer les mises en pages sobres et claires; les grands aplats de noir, les filigranes complexes et les changements de fontes tous les trois paragraphes, j’en suis revenu. En plus, ça prend moins de temps à faire et ça a moins de chances de finir par un caca de proportion biblique.
Théoriquement, si vous avez suivi les conseils des deux premiers chapitres, vous devriez avoir tout prêt pour entamer les hostilités. Un peu de patience, on arrive.
Modèle II: Le Retour
La première chose à faire, c’est de mettre au point un modèle. Oui, “encore”; rassurez-vous, on va aussi reparler de feuilles de style.
Commencez déjà par régler le format du document; logiquement, ce sera de l’A4 (210 x 297 mm) ou de l’US Letter (215 x 280 mm). Rien ne vous empêche de donner dans l’exotique mais, par expérience, je peux vous dire tout format débordant un tant soit peu des standards va entraîner des hurlements de la part des imprimeurs et une facture en conséquence. Si c’est pour faire du PDF, un compromis consiste à travailler en 210 x 280 mm; de fait, le document tient sur le format A4 et le format US Letter.
Ensuite, décidez-vous sur le nombre de colonnes sur lesquelles va courir votre document. Une colonne, c’est un peu large, quatre, souvent trop étroit. Une variante plaisante est de faire une mise en page sur trois colonnes et n’utiliser que les deux colonnes “intérieures”, laissant la troisième pour des notes en marge, ou des illustrations (mordant sur une ou les deux colonnes). On peut aussi faire son cacou en basant sa mise en page sur un modèle à cinq colonnes, dont les quatre intérieures supportent le texte sur deux colonnes (voir illustration, parce que là je crois que je vous ai un peu perdu). Rajoutez un en-tête et/ou un pied de page, si nécessaire.
Où l’on reparle, donc, des styles
Une fois que vous êtes content de l’apparence générale de votre mise en page, prenez un de vos textes et importez-le dans votre modèle (vous avez sauvé, au moins?). Si vous avez un programme qui vaut son pesant de cacahuètes (et en admettant que vous ayez coché l’option ad hoc dans les options d’importation, mais elle l’est le plus souvent, par défaut), vous verrez que la brave bête vous a aussi importé les styles de votre document.
Dès lors, il ne vous reste plus qu’à ajuster les styles pour que votre texte mis en page prenne des contours plaisants. Cela implique en général une taille aux alentours des 9-12 pour le corps du texte, avec un interlignage entre 33% et 50% de la taille du caractère. Ne sous-estimez pas l’interlignage: c’est ce qui fait la lisibilité du texte; mieux vaut souvent un caractère plus petit et un interlignage plus grand. Une autre règle concernant l’interlignage est que, plus les colonnes sont larges, plus l’interlignage doit être important.
Pour les sous-titres, tâchez d’avoir une taille suffisante pour être lisible, mais pas trop grande, pour ne pas vous retrouver avec des sous-titres sur quatre lignes ou plus (l’autre option consiste à écrire des sous-titres de taille raisonnable, mais je sais par expérience que c’est dur, alors je ne vais pas non plus vous jeter la pierre). Si nécessaire, on peut rogner sur l’interlignage des sous-titres, tant que les lettres ne se rentrent pas dedans.
Si vous voulez ruser, faites en sorte que l’interlignage de vos sous-titres et leur espace avant et/ou après soit un multiple entier de l’interlignage; du coup, vos lignes seront naturellement ajustées face à face, ce qui est très pro. L’option “flemmard” consiste à jouer avec la grille de base et faire en sorte que les paragraphes “collent” à cette ligne de base, mais c’est pour les gens qui savent ce qu’ils font (d’autant plus que cette méthode a aussi ses inconvénients).
Une fois que c’est fait, virez le texte mis en page (si vous êtes du genre conservateur ou prudent, sauvez-en une copie avant) et sauvez le résultat comme un modèle.
Vous avez appelé la police…
Le choix des polices de caractères dépend en grande partie de vos préférences personnelles et de l’atmosphère que vous souhaitez donner au texte. Quelques recommandations cependant: n’utilisez pas plus de trois ou quatre polices différentes dans un même texte; deux est un optimum (une pour le corps du texte, une pour les titres). Certaines polices ayant des variantes en graisse (plus ou moins gras) ou en condensation, on peut facilement en jouer pour avoir des effets différents sans flinguer la cohérence graphique de la publication.
Tâchez aussi d’avoir une police de caractère lisible; ça peut paraître idiot, mais lire cinquante pages en caractères “grunge”, ça use. En fait, c’est une règle de base: si vous devez choisir entre le joli et le lisible, choisissez toujours le lisible, c’est plus sûr… Un principe souvent appliqué est d’utiliser une police “Serif” (ou “à empattement”, comme Times ou Palatino) pour le corps du texte et une police “Sans Serif” (“sans empattement”, comme Arial ou Helvetica) pour les sous-titres; les avis sont partagés sur l’inverse, car beaucoup de graphistes considèrent les polices sans empattement comme étant moins lisibles pour des textes longs.
Il existe deux types principaux de polices: TrueType et PostScript. Si possible, pour des documents destinés à être imprimés professionnellement, il est préférable d’utiliser le format PostScript; le TrueType peut être utilisé pour les documents de travail ou les documents en PDF. Il existe depuis quelques temps un troisième type, OpenType, développé par Adobe, et qui permet de faire aisément des facéties typographiques, telles que des ligatures ou des initiales calligraphiées.
Pour des documents PDF, on peut facilement gagner un peu de place en n’utilisant que des polices “standards” (Times New Roman, Palatino, Arial, etc.): on peut ainsi partir du principe que la plupart des lecteurs les ont installées et ainsi éviter de les inclure dans le document. Cela dit, évitez Times, qui est considérée comme une police tellement “bateau” que son usage est même considéré comme un péché capital par certains graphistes extrémistes.
Voir page 657
De votre modèle, vous pouvez déduire une statistique très importante: le nombre de caractères par page. C’est important parce que, armé de cette donnée, vous allez pouvoir calculer au pif combien de pages fait votre document – sans illustrations, mais c’est déjà un début.
Pour un jeu de rôle “classique”, le standard, c’est 256 pages, plus les quatre pages de couverture. On peut monter plus haut en nombre de pages, jusque vers 300 (304, pour être précis), mais c’est un peu le maximum envisageable, pour des raisons de coûts et de marketing.
Pourquoi “256” ou “304”, au fait, et pas 250 ou 300? C’est une limitation propre aux presses offset, qui impriment par cahiers de 16 pages. De fait, on s’arrange pour avoir un nombre total de pages qui soit un multiple de 16. On peut faire moins, mais en général, on paye le même prix que le 16 supérieur. Bien évidemment, si on fait de la photocopie classique, c’est une limitation qui tombe. Néanmoins, il vaut mieux rester dans l’ordre d’idée d’un maximum de page à 250-300.
Une petite note, en passant, concernant la reliure: la plupart des ouvrages présentent une reliure, dite “dos collé”. Les différents cahiers sont collés à une tranche; ce qui veut dire qu’il faut aussi prévoir quelque chose à imprimer sur cette tranche, si on veut que la publication soit plus visible en rayonnage. En-dessous de 80 pages, on peut préférer d’avoir une reliure par agrafes, qui est un peu moins chère et un peu plus solide — mais moins classieuse. La reliure en anneau (Wiro pour les versions en métal) est souvent jolie et très pratique pour des documents qui doivent être lus souvent, mais coûte beaucoup plus cher; la solution bon marché (Ibico) est moins jolie et moins pratique (on ne peut pas tout avoir).
En passant, c’est une bonne idée de dire que les chapitres commencent, soit sur une page de gauche, soit sur une page de droite – et de s’y tenir. Quitte à avoir des pages blanches – sur lesquelles on peut toujours mettre des illustrations, d’ailleurs. Personnellement, je recommanderais de toujours commencer les chapitres sur une page de gauche, de façon à avoir un début net et, si le chapitre précédent est un peu court, à avoir une page de droite sur laquelle mettre une illustration.
Le petit rôliste illustré
Revenons aux illustrations. En règle générale, plus un jeu est illustré, mieux il sera considéré. C’est stupide, mais c’est comme ça. Une règle communément acceptée, c’est d’avoir au moins un élément graphique par double page – mais cet élément n’a pas forcément à être une illustration: un tableau, un encadré ou un logo peut aussi convenir. Pour un jeu correctement illustré, on compte une page d’illustrations pour quatre pages de texte; donc, si vous avez un document qui fait 200 pages de texte, il faut compter 50 pages de plus pour les illustrations. Donc 256 pages; le monde est bien fait, quand même.
Une autre règle importante est de dire que ce qui est beau mérite d’être grand. En d’autres termes, réservez vos meilleures illustrations pour des pleines pages, et les plus moches pour des petits bouche-trous. C’est aussi pour cela qu’il est important de planifier à l’avance: vous pourrez ainsi faire un tri dans vos illustrations et décider lesquelles iront en pleine page, avant de les numériser. Il n’y a rien de plus frustrant que de devoir caser une pleine page en haute résolution dans un espace de 6 x 6 cm – sinon peut-être de n’avoir qu’un timbre-poste à mettre dans une pleine page.
Un petit mot encore sur les marges: à moins de pouvoir sortir les document directement de l’ordinateur sur la machine, ne perdez pas de vue que votre imprimante a ses limitations physiques. Pour une imprimante laser, il est rare de pouvoir imprimer à moins de 1 cm du bord; les imprimantes à jet d’encre ont souvent des bords moins importants, sauf en bas où ça peut manger plus de 3 cm. Prévoyez donc votre mise en page en conséquence – et c’est spécialement important pour les dessins “franc bord”, c’est-à-dire allant jusqu’au bord de la page. Il est d’ailleurs recommandé d’ajouter un débord d’au moins 3 mm, autrement dit de faire en sorte que l’image dépasse du cadre de la page d’au moins 3 mm, de façon à ne pas avoir de problèmes lors de la coupe du papier.
Visuellement, il est recommandé d’avoir les illustrations pleine page sur les pages de droite, car c’est la première chose qu’on voit en feuilletant l’ouvrage.
La vengeance du stylo rouge
C’est bon, tout est fini? Pas si vite! Un dernier passage par un relecteur s’impose. Je sais: si vous avez suivi mes conseils précédents, vous avez déjà eu droit à un, voire plusieurs passages en relecture. C’est bien.
Le problème, c’est que le processus de mise en page implique aussi son lot de manipulations sur le texte, qui en retour peuvent engendrer des erreurs. Mieux vaut les repérer avant de passer chez l’imprimeur. Notamment, il y a le terrible “voir page XX” (variante: “voir tableau XX”); ne riez pas: j’en vois régulièrement dans des produits soi-disant professionnels.
Faites aussi attention aux lignes qui sautent en bas de page (ou en fin d’encadré ou de tableau); ce genre de problème peut être réglé par certains utilitaires de programmes de mise en page. Enfin, méfiez-vous des détourages d’image et habillages d’icelles, qui parfois ont tendance à manger du texte, eux aussi.
Quel programme choisir
Dans la mise en page, deux écoles s’affrontent: les anciens et les modernes. En d’autres termes, les utilisateurs de Quark XPress et ceux qui sont passés à Adobe InDesign.
Quark XPress est plus ou moins le logiciel standard de l’industrie graphique. À peu près tous les graphistes ont eu à s’en servir au moins une fois et la plupart peuvent même faire les raccourcis-clavier dans leur sommeil.
XPress peut tout faire raisonnablement bien, mais est quelque peu vieillissant et, plutôt que de chercher à renouveler ses capacités purement “presse papier”, a décidé de se tourner vers le Web en offrant des capacités de plus en plus pointues pour l’exportation HTML et XML. Il coûte aussi un prix prohibitif (CHF 3500) et est doté de dispositifs anti-copie de plus en plus paranoïaques – ce qui est compréhensible, sauf quand ça emmerde même les utilisateurs légitimes…
InDesign est le nouveau venu; conçu par Adobe, il a la prétention de remplacer le vieillissant PageMaker et de marcher sur les plate-bandes de XPress. Et il peut le faire! Doté de capacités typographiques thermonucléaires globales (surtout avec des polices OpenType (voir plus haut), il a aussi des outils graphiques permettant des effets de transparence et d’ombres portées, entre autres blagues. Rajoutons à ça une intégration quasi-parfaite avec les autres logiciels de chez Adobe et la possibilité d’exporter nativement en PDF.
Ça, ce sont les bons côtés (mentionnons aussi qu’il est presque moitié moins cher que XPress). Le problème est qu’InDesign a des appétits féroces en ressources machine (prévoyez une bécane de concours); corollaire: il est très lent et a même une tendance à planter assez désagréable pour un logiciel utilisé en production. Signalons aussi que, avant sa version 2.0, InDesign est quasiment inutilisable, pour cause de problèmes majeurs; tout n’est visiblement pas réglé, mais ça reste au moins utilisable.
Maintenant, à côté de tout cela, il y a encore la foule des prétendants: le même-pas-mort Adobe PageMaker (pour débutants), Microsoft Publisher (un mot: Microsoft; si votre imprimeur vous accueille à coups de fusil, ce ne sera pas mon problème), RagTime (disponible gratuitement pour une utilisation non-commerciale), etc.
Alors que choisir? C’est principalement une question de goûts et de moyens. Personnellement, je préfère nettement InDesign, plus moderne et moins cher, mais les gens allergiques à Adobe vont probablement renauder (et, soit dit en passant, devrait peut-être songer à un autre métier que le graphisme).
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Petite question complémentaire: si je ne compte pas investir dans un logiciel, et que je ne vise pas un résultat de qualité professionnelle, y a-t-il une bonne solution de mise en page gratuite ou est-ce finalement plus simple d’opter pour la sobriété stylistique et de tout faire sur Word ?
Word (ou Libre/OpenOffice) sont des solutions tout à fait acceptable, tant que tu ne cherches pas à faire des trucs complexes (multicolonnes, encadrés, images avec habillage, etc.). Disons que plus les mises en page sont complexes, plus ça va être l’enfer à gérer et de façon exponentielle. Contrairement à ce que prétend Microsoft, Word n’est pas prévu pour faire de la mise en page (et c’est pareil, voire pire, pour les solutions libres).
Si tu es sur Mac, il y a Pages, qui vient gratos et qui est une solution décente pour des mises en pages rudimentaires.
Si tu veux vraiment taper dans le libre qui prend la tête, il y a Scribus, mais je connais mal.
Il y a quelques années, Adobe avait mis en ligne gratos une version de sa Creative Suite (CS2), mais je ne sais pas si ça incluait InDesign et si c’est encore le cas.
Un immense merci pour ces précieux conseils. Grâce à toi, je me suis tourné vers Scribus. J’ai énormément souffert, mais c’était la bonne solution pour mon projet.
Content de l’apprendre!
Il faudra un jour que je m’attelle à mettre à jour ces pages.