La folle histoire du prog

Il y a quelques semaines, quelques de mes lecteurs m’ont demandé de faire un article expliquant les différentes dénominations de prog. La requête m’a amusé, mais aussi quelque peu embêté.

Pour le cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je suis un dilettante. Certes, je chronique des blindes d’albums (en moyenne une dizaine chaque mois) et beaucoup de ces albums sont du rock progressif ou une catégorie connexe. Mais en vrai, je suis loin d’avoir une connaissance encyclopédique sur le sujet.

La solution flemme serait de vous renvoyer vers des sites plus compétents que moi, notamment ProgArchives, qui a mis au point une taxonomie assez précise sur le sujet, ou l’article de Cracked. La solution rigolote serait de faire ça à ma sauce.

Devinez laquelle je vais choisir?

Chrono pas très logique

Donc, cet article va prendre la forme d’une forme de chronologie. Il sera basé sur quelques sources raisonnables, mon expérience personnelle et ma mauvaise foi légendaire.

Du coup, vous avez le droit de dire que je raconte n’importe quoi. Au reste, « raconter n’importe quoi » est un peu ma marque de fabrique. Vous avez aussi le droit de me corriger si j’écris des trucs factuellement faux.

Je ne me fais aucune illusion: il y en aura.

In ze débuting

Les premiers groupes de rock progressif apparaissent à la fin des années 1960, principalement en Grande-Bretagne. C’est ce qu’on appellera plus tard le rock progressif symphonique, avec des têtes de file comme Yes ou Genesis et, plus tard, Emerson Lake and Palmer, Van der Graaf Generator ou Camel.

Comme son nom l’indique, le concept du prog symphonique est de calquer sur le rock des structures inspirées de la musique symphonique, mais aussi de faire sauter un certain nombre de codes: rythmiques binaires, morceaux courts et simples, etc.

Le cas de Pink Floyd est un peu différent, en ce que c’est un groupe qui, aux débuts du prog, se trouve amalgamé dedans alors qu’ils sont plus dans un style psychédélique. King Crimson est aussi quelque peu à part dans cette catégorie, vu que c’est un groupe qui très vite va se démarquer par une démarche très expérimentale.

La grande époque du prog symphonique

Assez rapidement, le genre va essaimer. Dans la première moitié des années 1970, c’est « l’âge d’or » du rock progressif, qui rapidement essaime hors de Grande-Bretagne: Ange en France, Kansas et Rush en Amérique, Kayak aux Pays-Bas, Kaipa en Suède, etc.

En Italie va même naître une forme indigène, qui se démarque par un accent sur un chant un italien inspiré de l’art lyrique. C’est le RPI – rock progressivo italiano – avec une galaxie de groupe tels que Le Orme, Banco del Mutuo Soccorso, etc.

Et puis c’est aussi à cette époque que vont apparaître d’autres genres connexes, comme Magma et le zeuhl, ou le « prog-folk » de Mike Oldfield.

Les âges obscurs

On dit souvent que le punk a tué le prog. J’avais lu un édito dans Prog-résiste qui disait (en gros) que le rock progressif avait voulu casser les codes, mais avait finalement été étouffé par sa propre grandiloquence (un jour, je retrouverai la référence exacte).

Ma théorie, c’est qu’il est impossible de tuer le prog. Principalement parce que, de même que les progueux ne savent jamais quand (ou comment) finir un morceau, le rock progressif ne s’est jamais aperçu qu’il était mort et a continué comme si de rien n’était.

Entre, mettons, 1977 et 1982, le rock progressif disparaît des grands médias musicaux. Enfin, pas tout à fait: Pink Floyd sort par exemple The Wall en 1978, suivi du film en 1982; Genesis balance en 1981 un Abacab spectaculaire. Et des formations comme UK apparaissent, parfois comme autant de météores.

C’est aussi une période où apparaissent des styles connexes, comme le krautrock, musique électronique dont sont issus des groupes comme Tangerine Dream.

La deuxième vague: le néo-prog

C’est sans doute la sortie de Script for a Jester’s Tears, de Marillion, qui marque en 1983 le retour du prog sur le devant de la scène. À moins de considérer un OVNI musical qui, en 1979, cartonne sur tous les grands médias: The Buggles et son album The Age of Plastic.

Quel rapport avec le prog? Ses deux auteurs, Trevor Horn et Geoffrey Downes, qui à la suite de cet album rejoignent le groupe Yes le temps d’un album (Drama), avant que le second ne rejoigne Asia.

Oui, mais est-ce que The Buggles, c’est du prog? Probablement pas, mais je pense que le feeling pop des compositions du groupe a donné des idées à pas mal de monde. Ce qui m’amène au néo-prog, un genre qui revitalisé le rock progressif en lui apportant des sonorités plus mordantes et aussi une accessibilité plus grande.

Dans la foulée de Marillion apparaissent, aussi en Grande-Bretagne, des groupes comme Pendragon, IQ et Twelfth Night, ainsi que Pallas. Avec le néo-prog, le rock progressif cesse de n’être qu’un genre pour musiciens élitistes et balance des tubes calibrés pour la radio. Et ça marche! Pour un temps, en tous cas.

Simultanément, c’est aussi la montée en puissance de ce qu’on appelle aujourd’hui le classic-rock, un rock qui allie puissance, épique, des mélodies accrocheuses et des compositions complexes. Les passerelles avec le prog vont être nombreuses: j’ai déjà cité Asia, super-groupe dans lequel on retrouve des membres de Yes, ELP, The Buggles et UK, mais aussi Saga, Magnum, Foreigner, Toto.

La conséquence inattendue de cette résurgence, c’est que les Grands Anciens, comme Yes ou Genesis reviennent également en force, avec respectivement 90125 (et le tube « Owner of a Lonely Heart ») et Genesis (« Mama »).

Injection de metal

Une autre conséquence inattendue, c’est les débuts du metal progressif. Il y avait déjà des prémisses avec, notamment, Iron Maiden, déjà sur l’album Killers en 1980, mais surtout avec Somewhere in Time et Seventh Son of a Seventh Son, voire Judas Priest (Turbo).

Mais ce sont des formations comme Queensrÿche, Fates Warning (ou Watchtower, pour ceux qui cherchent de l’expérimental) qui, dès la fin des années huitante, vont littéralement mettre le feu au bazar.

Queensrÿche, déjà, qui balance en 1986 un Rage for Order très inspiré par la new-wave et aux sonorités surprenantes, puis Operation:Mindcrime en 1988, concept-album qui est peut-être le premier « vrai » album de metal progressif.

Fates Warning avait déjà des velléités sur ses albums The Spirit Within et Awaken the Guardian, mais c’est sans doute la suite « The Ivory Gates of Dream » sur l’album No Exit qui marque le tournant du groupe, avant l’ultra-prog Perfect Symmetry (1990).

Et, passé presque inaperçu en 1989, un petit groupe new-yorkais sort un album abominablement mal produit. Ce groupe, c’est Dream Theater et l’album When Dream and Day Unite. Trois ans plus tard, alors que tout le monde les avaient oubliés, ils sortent une bombe atomique: Images and Words.

Boum.

Du prog partout!

Quand je dis « boum », c’est que le succès de Dream Theater a été comme une explosion stylistique dans le milieu du metal. Soudainement (ok, façon de parler), tout le monde s’est mis à découvrir (ou redécouvrir) le rock progressif et à en intégrer des bouts plus ou moins conséquents.

Qu’à la même époque, on ait commencé à voir apparaître les premiers groupes de metal symphoniques (Symphony X, Rhapsody, Blind Guardian, puis plus tard Nightwish et consorts) n’est à mon avis pas un hasard. Rappelez-vous: beaucoup des premiers groupes de prog intégraient des éléments de musiques symphonique.

À la même époque, fin des années nonante, début des années 2000, des nouveaux groupes de rock progressif plus classiques ont commencé à apparaître, inspirés du néo-prog, mais avec un jeu plus musclé. Notamment, Spock’s Beard aux USA, Porcupine Tree et Arena en Grande-Bretagne (avec, pour ce dernier, l’ancien batteur de Marillion et l’actuel claviers de Pendragon), ou Riverside en Pologne.

Je ne résiste pas non plus à l’envie de citer les Suisses de Galaad, mais il y a eu également Chandelier en Allemagne ou Arrakeen (et, plus tard, Lazuli) en France.

Un coup d’œil dans le rétro…

C’est aussi au début des années 2000 qu’ont commencé à apparaître les premiers groupes de ce que j’appelle le « rétro-prog ». À la base, l’idée semble être de vouloir refaire du rock progressif symphonique à la manière des « Grands Anciens » (principalement Yes ou Genesis), mais avec un son plus moderne.

Je vais être honnête: j’ai un souci avec cette tendance. Disons que vouloir retrouver ses racines, c’est bien; se complaire dans le pastiche (insérez ici blague française), c’est moins ça. Et si, souvent, les albums de rétro-prog sont très agréables à écouter, je ne peux pas m’empêcher d’être gêné par ce côté « rue de la Pompe ».

Il y a tout de même des trucs assez somptueux dans cette catégorie, comme The Watch et son Genesis période Gabriel plus vrai que vrai, ou Astra, Wobbler, les Flower Kings et quelques autres.

Dans un registre un peu différent, c’est aussi dans les années 2000 qu’apparaît le post-rock (techniquement, un peu avant, mais le genre perce vers 2005), avec des groupes comme Sigur Rós, God Is an Astronaut, Pelican ou Isis.

Musique principalement instrumentale inspirée de l’art-rock, du rock alternatif et du krautrock, elle se rattache au rock progressif, un peu comme le rock progressif s’est rattaché au metal dans les années huitante. Il y a des passerelles et des publics similaires, mais ce sont deux genres qui ont peu en commun.

… et à fond vers l’avenir

Aujourd’hui, le rock progressif n’est toujours pas mort. Il est même plus vivace que jamais en ayant essaimé dans beaucoup de genres différents, qui ont par la suite ramené vers lui des inspirations multiples.

J’ai l’impression que c’est surtout du côté du metal que l’influence a été la plus importante. J’ai aussi l’impression que le metal a cette capacité à être un genre fractal: plus on zoome sur un sous-genre, plus on trouve des subdivisions improbables (« vegetarian progressive grindcore »).

Aujourd’hui, on trouve du power-metal progressif (ou power-prog metal), qui est peut-être la forme la plus classique – voire à minima – du prog-metal. On trouve aussi des groupes de death progressif (Winter’s Gate d’Insomnium est peut-être le meilleur exemple). Enslaved a longtemps fait du black-metal classique avant d’y intégrer des éléments prog (sans parler du black atmosphérique de Saor ou de Cân Bardd et ses ambiances oldfieldiennes). Il y a même des groupes de metalcore progressif, c’est dire!

Il y a eu aussi l’apparition du djent, qui certes est plus un type de son de guitare, mais qui s’est imposé dans le metal progressif, avec des groupes comme Messhugah, Animals As Leaders, TesseracT et bien d’autres.

Quant au rock progressif lui-même, il a continué sur la lancée du néo-prog des années 1980, en incorporant à la fois une recherche de l’accessibilité et des sonorités très mordantes, sans pour autant renier la complexité. On a ainsi des groupes comme Haken, Leprous, toute « l’école australienne » (Voyager, Caligula’s Horse) ou Frost*.

2020+

C’est traditionnellement le moment où l’auteur pose la question « que nous réserve l’avenir? » Je vais honnête: je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’il est peu probable qu’après avoir survécu à plus d’un demi-siècle de (rares) hauts et de (nombreux) bas, le rock progressif ne meure aujourd’hui. Ni après-demain.

Il va sans doute continuer à influencer des groupes, à évoluer lui-même vers des formes diverses. Bref, à nous faire rêver.

Image: Fish (rock progressif, Grande-Bretagne) interprète « Misplaced Childhood » Thirtieth Anniversary au Night of the Prog Festival 2015, 18 juillet 2015, Loreley Freilichtbuhne. Photo: Stéphane Gallay

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