En jeu de rôle, la faiblesse est une force

Le blog rôliste de Rob Donoghue, Some Space to Think, propose un excellent article intitulé The Meek Shall Inherit The Tabletop sur la notion de faiblesse dans le jeu de rôle. Je vous la fait courte: non seulement le jeu de rôle est un jeu où il n’y a pas de gagnant, mais il va jusqu’à dire que les joueurs qui sont prêts à échouer volontairement y sont les vrais gagnants.

L’idée est classique, limite Captain Obvious dite comme ça, mais mérite d’être exprimée car elle est intéressante et, à mon avis, primordiale pour comprendre l’intérêt ludique du jeu de rôle. Elle se rattache au fait que le jeu de rôle est une forme de narration: les personnages qui se gaussent de toutes les difficultés et qui gagnent tout le temps sans péril, cela fait un moment que ça n’intéresse plus grand-monde (à part les auteurs de fan-fiction créateurs de Mary-Sue). C’est pour cela qu’un personnage comme Honor Harrington n’est plus intéressant, car elle surclasse tout le monde.

Pour qu’une histoire devienne intéressante, il faut de l’adversité et, donc, de la faiblesse. Les héros les plus marquants ne sont pas les surhommes, mais les êtres faillibles qui réussissent malgré leurs défauts et non grâce à leurs forces. La conséquence, c’est que dans ce genre de contexte, la notion d’équilibre de jeu meurt dans d’atroces souffrances, surtout si elle n’est pensée que pour une seule condition (au hasard, le combat). Ce qui n’est un problème que si ce n’est pas quelque chose qui est clair pour tout le monde, meneur et joueurs – ce qui hélas arrive plus souvent qu’on ne le pense.

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San-Antonio chez les rôlistes

Vous avez dû finir par vous rendre compte, après ces trois derniers articles sur le sujet, je suis un fan de San-Antonio. Soit, mais quel rapport avec le jeu de rôle – sinon que je le considère comme un des mes maîtres en écriture et que ça a dû forcément avoir un impact sur Tigres Volants? Il existe somme toute assez peu de jeux qui sont exclusivement axés sur le polar ou sur l’espionnage et aucun, à ma connaissance, qui l’aborde sous l’angle du pastiche ou de la parodie.

Cela dit, en relisant les ouvrages (surtout ceux des années 1950-1960, période dans laquelle je suis plongé en ce moment), je m’aperçois qu’il y a pas mal d’éléments qui sont réutilisables en jeu de rôle, sous forme d’inspirations diverses et variées. Certes, la structure même des histoires, centrée sur la personne du commissaire San-Antonio, héros et narrateur des ouvrages, est difficile à calquer en jeu de rôle, à moins de jouer en (très) petit comité et d’avoir des joueurs qui acceptent de jouer les faire-valoir. C’est un peu ce à quoi je pensais en écrivant le premier jet de À suivre…, que je compte d’ailleurs bien ressusciter un de ces quatre.

Tout d’abord, il y a la période. L’air de rien, le Paris de la fin des années 1950 est une destination qui, somme toute, est devenue passablement exotique à cinquante ans de distance. Certes, on n’est pas dans le Turkménistan décrit Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde, ni même dans le Paris semi-fantastique de Rue des Maléfices, mais expliquez donc à la jeune génération une époque sans digicode, mais avec des concierges acariâtres, sans téléphone portable mais où on bigophone depuis le bistrot du coin, où les taxis sont encore pilotés par d’anciens nobles russes chassés par les Bolchéviques. C’est l’après-guerre, aussi, avec sa reconstruction enthousiaste et ses blessures mal refermées; les protagonistes de plus de trente ans ont “fait” la guerre – collabos, résistants, les deux?

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Braunstein, aux origines du jeu de rôle

Je me coucherai moins bête ce soir, grâce aux efforts combinés du blog Ars Ludi de Ben Robbins et de celui qui commente de temps en temps ici même sous le nom de Greg Pogorzelski (nom connu de la rédaction). En effet, par le biais d’un article maintenant assez ancien intitulé Braunstein: the Roots of Roleplaying Games, j’ai appris l’histoire de ce premier pas vers la notion de meneur de jeu et de personnage-joueur lancée par un wargamer de la vieille école, David Wesely.

Pour faire court, ce dernier a eu l’idée, en 1967, de faire jouer à ses joueurs habituels non seulement les commandants militaires, mais également des citoyens de la ville voisine, une cité prussienne fictive du nom de Braunstein. En ce faisant, il est sans doute devenu le premier MJ de l’histoire – sans le savoir, puisque le terme est apparu longtemps après. Dingue ce qu’on a pu faire comme conneries en 1967!

Lisez l’article, il est certes en anglais, mais il est passionnant pour qui s’intéresse – même de loin – à l’histoire du jeu de rôle. On y apprend que la première partie a été, du point de vue de son organisateur, un échec cuisant – sauf que ses joueurs en redemandèrent. On apprend également comment un certain Dave Arneson est devenu le premier PJ en s’investissant totalement dans son rôle de révolutionnaire sud-américain dans une version postérieure de Braunstein se déroulant dans une république bananière.

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Et toi, tu joues à Donjons & Dragons ou au jeu de rôle?

Donjons & Dragons, c’est du jeu de rôle ou bien? C’est un peu le troll de la semaine – OK, des deux dernières décennies et n’en parlons plus! – qui déboule sur divers sites de la rôlosphère francophone. Je vous en parle ici parce que j’ai également eu une conversation sur ce thème avec un des (courageux) joueurs présent à la Convention des Neiges ce week-end.

Je vais vous la faire courte: allez voir le blog JDR de  SCRiiiPT: Donjons & Dragons c’est du jeu de rôle ou pas ? À peu près tout y est, y compris un commentaire de votre serviteur et un petit sondage débile, sur lequel je permets de broder un peu plus ici.

D&D est-il du jeu de rôle? Je répondrais “oui, mais” pour des raisons très personnelles qui tiennent à mes derniers mois de pratique de D&D et qui expliquent pourquoi je n’y ai pas rejoué depuis. Ça tient un peu du traumatisme de la petite enfance (à quinze ans près, mais on ne va pas chipoter). Sans rentrer dans les détails sordides (des âmes sensibles – ainsi que certains témoins survivants – lisent ces lignes), les gens avec lesquels je jouais à l’époque ne pouvaient concevoir le jeu de rôle autrement qu’avec des figurines, des plans à l’échelle et ce genre de blagues.

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Jeu de rôle, open-source et Linux

C’est une idée bizarre, dont je ne sais pas trop quoi penser. Elle vient de l’ami BBS, que j’apprécie pour beaucoup de raisons, la moindre n’étant pas qu’il lui arrive de rire à mes blagues. Son idée est de créer un système de jeu de rôle qui se bâtisse comme un système GNU/Linux, avec un “noyau”, un système-cœur, et des “modules”, que l’on pourrait assembler en “distributions”, le tout sous licence Creative Commons.

L’idée est en soi amusante, mais j’ai du mal à voir en quoi elle est révolutionnaire: j’ai l’impression que c’est un peu ce que tout meneur de jeu lambda fait avec les systèmes de jeu qu’il maîtrise. Bon, bien sûr, je suppose qu’un système bâti ainsi dès le départ a des chances d’avoir une cohésion un peu plus grande qu’un caffouillazibule assemblé de bric et de broc.

L’autre chose est que j’ai vu beaucoup de systèmes génériques qui, avec un peu de manipulations, pourraient assez facilement entrer dans cette catégorie. Aucun ne m’a réellement convaincu de façon globale; la plupart ont des mécanismes qui s’accommodent assez bien d’un ou deux genres, mais qui sont loin d’être aussi universels qu’ils le prétendent.

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Le Marathon des Gnomes

Hier soir, je suis allé faire un saut au Marathon des Gnomes, une mini-convention organisé par le club genevois des Gnomes ludiques (“gnolus” pour les intimes). Le Marathon des Gnomes, c’est quarante heures de jeu non-stop dans les locaux du club, non loin du Musée d’histoire naturelle, ouvert à tous: jeu de plateau, wargame, jeu de rôle. Un évènement qui mériterait plus de visibilité et peut-être aussi un espace plus convivial.

C’est pour moi l’occasion de retrouver des gens avec lesquels j’ai joué il y a longtemps (du genre à se souvenir de Tigres Volants avant la première édition) et que je ne vois plus que rarement. À l’occasion, ça me permet de faire quelques parties de jeux de plateau sympas.

Cette année, j’ai enfin pu y faire une partie de Tigres Volants; je m’améliore: l’année passée, je n’avais pas trouvé de joueurs et, celle d’avant, j’avais carrément raté l’horaire et m’étais pointé, la bouche enfarinée, après la fermeture. J’ai donc joué le désormais habituel scénario de “L’héritage”, celui qui est en quelque sorte l’intro de la campagne lupanar.

Quand on est déhemme en convention, c’est toujours un peu la loterie: on ne sait jamais sur quel genre de joueurs on va tomber. Je devrais presque dire “sur quel genre de cas social on va tomber”, mais comme on parle de rôlistes, c’est un peu redondant. Du coup, j’ai eu droit à une belle brochette d’excités, le genre de jeunes joueurs qui considèrent que l’intégralité du scénario n’est qu’un immense punching-ball défoulatoire pour trop-plein d’hormones juvéniles.

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Granularité de langage

Dictionnaires

Ces deux semaines passées à Stuttgart m’ont permis de constater deux choses: la première est que mon allemand est meilleur que je ne le pensais. Je suppose que ces huit années à la Fédération luthérienne, passées à mettre en page d’innombrables documents en allemand, ont eu un effet positif sur ce point. La seconde, c’est que “meilleur” ne veut pas dire “bon”.

L'âge de la microproduction rôlistique

Ce billet est en grande partie une réaction à celui de Pyromago, habitué des forums rôlistes qui, sous l’intitulé peu compromettant Etonnarium Stupefactory et autres divagations nocturnes, s’étonne du foisonnement de la production rôliste actuelle et, surtout, de son côté ultra-niche.

C’est une vieille histoire: le jeu de rôle est un produit de niche, lui-même effroyablement balkanisé. Entre les différents thèmes (med-fan, science-fiction, med-fan, post-apo, med-fan, contemporain, med-fan…), les différents genres (pulp, réaliste, comique) et les différents systèmes de jeu (d20 vs GURPS vs le reste du monde), chaque joueur a tendance à avoir ses petites manies. La particularité du milieu, c’est qu’avec cette balkanisation extrême, il y a également quelques poids lourds, genre Donjons & Dragons, qui accaparent à eux tous seuls une grosse part des joueurs.

Est-ce un problème? Pyromago semble dire que ce foisonnement signifie que tous ces projets, aussi professionnels soient-ils,  sont voués à l’obscurité, à l’anonymat et, en un mot, un peu vains. Ça n’étonnera personne: je ne suis pas d’accord.

En tant que ludosaure, avec plus de vingt-cinq ans de pratique, je ne me rappelle pas une période, même aux Âges Héroïques, où tout le monde et son petit frère n’avait pas déjà des projets de jeux plein la tête (et, en général, plusieurs cahiers bien remplis pour le prouver). La seule différence était qu’à l’époque, d’une part il y avait moins de choix et, d’autre part, beaucoup moins de moyens de diffuser ses créations.

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Y a-t-il un rôliste dans la salle?

Entre deux discussions politiques sur les forums de la FFJDR, je me suis permis une digression sur la nature des rôlistes (edit: lien disparu suite à la migration du serveur). En résumé, elle n’existe pas — pour une raison très simple: personne n’a seulement songé à recenser les rôlistes.

Eh oui, ça peut paraître stupide, mais, à l’heure actuelle, personne n’est (à ma connaissance) capable de dire combien il y a de joueurs de jeu de rôle en France et, plus généralement, dans la Francophonie. À vrai dire, je soupçonne que c’est pareil dans le monde anglo-saxon.

Un des problèmes, c’est de savoir comment on définit un rôliste. Un joueur occasionnel (genre, une ou deux fois par an) est-il un rôliste? Un joueur de grandeur-nature est-il un rôliste? Un fan des Loups-garous de Thiercelieux? Un accro de World of Warcraft?

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Culture rôliste, es-tu là?

En parcourant le blog d’Eric Nieudan, je suis tombé sur son dernier billet et sur une mention qui m’a fait sérieusement tiquer:

“Normalement, je suis au premier rang à battre des mains quand il s’agit de promouvoir la culture rôliste.”

La culture rôliste? Ça existe donc? Et qu’a-t-elle de si différente de la culture, disons, des fans de science-fiction ou d’héroïc-fantasy, de la culture cinématographique ou bédéphile?

Le billet d’Eric porte sur l’annonce d’un film dans l’univers de Midnight, un jeu d’heroïc-fantasy qui part du principe que, dans la grande guerre entre le Bien et le Mal, c’est le Mal qui a gagné. Ça peut être correct comme ça peut être nul, mais, dans tous les cas, c’est à ma connaissance la première fois qu’un univers de jeu de rôle est transposé en film — et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle. Il y a eu des films et des dessins animés Donjons & Dragons, mais, mis à part le fait qu’ils étaient plutôt mauvais, ils ne se basaient pas particulièrement sur un univers (pour une bonne raison: il n’y en a pas…).

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