Hier soir, je suis allé faire un saut au Marathon des Gnomes, une mini-convention organisé par le club genevois des Gnomes ludiques (“gnolus” pour les intimes). Le Marathon des Gnomes, c’est quarante heures de jeu non-stop dans les locaux du club, non loin du Musée d’histoire naturelle, ouvert à tous: jeu de plateau, wargame, jeu de rôle. Un évènement qui mériterait plus de visibilité et peut-être aussi un espace plus convivial.
C’est pour moi l’occasion de retrouver des gens avec lesquels j’ai joué il y a longtemps (du genre à se souvenir de Tigres Volants avant la première édition) et que je ne vois plus que rarement. À l’occasion, ça me permet de faire quelques parties de jeux de plateau sympas.
Cette année, j’ai enfin pu y faire une partie de Tigres Volants; je m’améliore: l’année passée, je n’avais pas trouvé de joueurs et, celle d’avant, j’avais carrément raté l’horaire et m’étais pointé, la bouche enfarinée, après la fermeture. J’ai donc joué le désormais habituel scénario de “L’héritage”, celui qui est en quelque sorte l’intro de la campagne lupanar.
Quand on est déhemme en convention, c’est toujours un peu la loterie: on ne sait jamais sur quel genre de joueurs on va tomber. Je devrais presque dire “sur quel genre de cas social on va tomber”, mais comme on parle de rôlistes, c’est un peu redondant. Du coup, j’ai eu droit à une belle brochette d’excités, le genre de jeunes joueurs qui considèrent que l’intégralité du scénario n’est qu’un immense punching-ball défoulatoire pour trop-plein d’hormones juvéniles.
En un sens, c’est un peu le cauchemar; la cohérence du groupe est à peu près nulle, ça s’excite pour un rien, ça se vexe si ça ne peut pas se balader avec l’équivalent en matériel militaire d’une brigade d’artillerie de siège et ça s’ennuie s’il n’y a pas de baston. Et, dans la grande tradition donjonesque, ça rafle tout ce qui pourrait avoir un tant soit peu de valeur marchande (il y en a même un qui parlait de démonter les sièges du vieux bus qu’ils ont emprunté à un moment).
Personnellement, je vois ça comme un exercice de zen et d’humilité; pas que je sois quelqu’un de très zen ni de très humble, mais j’ai acquis, au cours de ces vingt-cinq dernières années de jeu en convention, une certaine pratique des joueurs. Ça me rappelle aussi qu’il y a fort longtemps, moi aussi j’étais un sale môme qui pillait les souterrains jusqu’au dernier bouton de culotte et que je menaçais mes petits camarades de coups d’épée dans le dos au premier pet de travers. Ce genre d’aléas fait partie de la vie et, à part quelques extrêmes heureusement fort rares, ça se gère.
De façon générale, une des armes les plus efficaces du déhemme, c’est le “es-tu sûr de bien vouloir faire ça”, de préférence à la suite d’un résumé bref (et quelque peu de mauvaise foi) sur l’acte et ses conséquences probables. Le “boah, si tu y tiens” est aussi raisonnablement efficace, quoique parfois un peu trop subtil, pour faire comprendre au jeune padawan que ses désirs de puissance sont futiles et n’amusent que lui.
Le truc qu’il faut néanmoins comprendre, même si c’est parfois difficile pour l’égo de l’auteur, c’est que le but est que les joueurs s’amusent. Surtout dans des cas similaires au mien où le but est certes de jouer, mais aussi de présenter le jeu avec l’espoir d’en vendre quelques exemplaires. De fait, il est de bon ton de laisser une soupape de sécurité aux joueurs. Ce n’est pas toujours possible: hier soir (en fait, techniquement, c’était ce matin), j’ai dû abréger la partie avant la grande poursuite finale dans les rues de Fantir, avec les hordes mafieuses aux trousses des joueurs.
En fait, je me rends compte que, dans cette optique, la plupart de mes scénarios ont un défaut majeur: ils ne sont pas très flexibles et j’adopte souvent dans ce genre de partie une approche plus proche de celle du conteur, en essayant de faire progresser mon histoire d’un point à un autre, quitte à mettre les personnages sur des rails. En même temps, ce n’est pas forcément un mal, surtout si on doit jouer dans un laps de temps limité, mais c’est une pratique qui implique que les joueurs soient d’accord de suivre le déhemme sur cette voie.
Tel que je le conçois, le jeu de rôle implique que les joueurs acceptent de jouer avec le déhemme et non contre lui; c’est la définition communément admise, sans doute depuis 1974, ce qui ne veut pas dire que c’est la pratique. Je sais que, personnellement, il m’a fallu plusieurs années pour l’admettre en tant que joueur et en tant que déhemme.
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De Déhemme à déhemme, au sujet desdits joueurs :
condoléances.
Oh, on y survit très bien.