Selon une ancienne légende, en l’an 1974 du calendrier grégorien, un ouvrage sur les donjons et les dragons révolutionna le monde. L’auteur américain Jon Peterson, qui avait déjà étudié sa genèse, revient sur son impact avec The Elusive Shift.
Le « basculement insaisissable » que mentionne le titre, c’est celui qui donne naissance au terme role-playing game – jeu de rôle dans la langue de Pierre Rosenthal. En effet, Dungeons and Dragons ne se définissait pas à l’origine comme un jeu de rôle, mais comme des règles de wargame.
La question que pose donc l’auteur de The Elusive Shift peut se résumer dans le sous-titre de l’ouvrage: comment les jeux de rôle ont-ils forgé leur identité?
Ce qui est intéressant, d’ailleurs, c’est de voir que ce sont les (proto-)rôlistes eux-mêmes qui ont mené la discussion sur ce sujet, les milieux académiques ne s’y intéressant que très tardivement.
Disons que si vous pensez que les débats sur la théorie rôliste datent des groupes Facebook – ou même du forum The Forge – vous risquez d’être surpris. Avant la popularisation d’Internet, les débats se déroulaient dans les fanzines, puis les magazines, et sous forme épistolaire. Et il n’étaient pas beaucoup moins virulents.
Déjà, Jon Peterson met en avant un point encore moins connu que l’absence du terme role-playing game: le côté extrêmement flou des règles de D&D. Une grande partie des débats portent sur ce point: comment jouer avec un ensemble de règles plus indicatives que restrictives.
Sans trop de surprise – surtout pour ceux qui avaient lu le précédent ouvrage, Playing at the World – les « règles maison » vont assez rapidement pulluler. Et, avec elles, les engueulades sur ce qu’est, et ce que n’est pas, un jeu de rôle.
Il faut attendre Tunnels & Trolls, en 1976, pour voir un jeu qui se définit comme role-playing game et Monsters! Monsters! en 1977 pour voir le terme explicitement mentionné dans les règles. Et même à ce moment, ce que cela signifie concrètement n’est pas clairement partagé par tout le monde.
The Elusive Shift mentionne aussi ce moment, à la fin des années 1970, où D&D s’est retrouvé au cœur de la « panique satanique » suite à la disparition d’un étudiant. Cet événement tragique a eu une conséquence imprévue: le jeu de rôle – enfin, surtout D&D – a connu un énorme afflux de nouveaux joueurs.
Ce sont souvent très jeunes, autour de douze-seize ans, pas du tout originaires des milieux habituels (fandom science-fiction et fantasy ou wargame) et souvent intéressés par la baston et la quête de puissance. Ils sont rapidement baptisés d’un terme devenu légendaire: les munchkins.
Et si vous vous demandez quel est le rapport avec la question de la définition de jeu de rôle, ce soudain afflux de jeunes joueurs va au contraire accentuer les réflexions sur le sujet, avec notamment le « Modèle de Blacow », formulé pour la première fois par Glenn Blacow en 1980.
Ce modèle pose, d’une part, quatre types de jeux – la simulation pure, le power-gaming, le jeu de rôle et la narration pure (storytelling). Et, d’autre part, que les parties de jeu de rôle sont rarement d’un type unique, mais une combinaison de plusieurs formes. C’est l’ancêtre du modèle GNS (ou LNS en français, pour ludiste, narrativiste et simulationiste).
The Elusive Shift est un ouvrage assez court – à peu près le tiers de Playing at the World – et qui se situe dans la continuité de ce dernier. Il peut se lire indépendamment, mais je recommanderais de lire les deux.
Ce sont des ouvrages de référence sur l’histoire du jeu de rôle et il va être difficile de surpasser le travail de Jon Peterson sur ce sujet, notamment au niveau des fanzines des tous débuts.
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