Je l’ai dit et je le répète: la disparition de David Graeber a laissé un énorme trou dans les sciences sociales. Ce vide est partiellement comblé par la publication de quelques ouvrages posthumes, comme celui-ci, The Dawn of Everything, écrit avec David Wengrow.

David Wengrow est un archéologue britannique, David Graeber était donc un anthropologue américain et cet ouvrage a écrit sur près de dix ans et terminé très peu de temps avant le décès de ce dernier, en septembre 2020.

Comme vois pouvez vous en douter si vous avez déjà lu d’autres ouvrages de David Graeber, grand dynamiteur de dogmes (le travail, la bureaucratie ou l’argent), celui-ci a un fort potentiel explosif. Son sous-titre, A New History of Humanity, est peut-être un peu exagéré, mais un peu seulement.

Pour poser les choses, Graeber et Wengrow commencent en expliquant que les Lumières ont été inspirées par… les modes de vie amérindiens. Simplement parce que ces derniers, racontés par des missionnaires jésuites tout au long du XVIIe siècle dans des ouvrages qui ont été des best-sellers à l’époque, ont offert des contre-exemples de ce que pourrait être la vie hors d’un contrôle par l’Église et l’aristocratie.

Et ça, ce n’est que le premier chapitre.

Le cœur de cet ouvrage, c’est une réécriture de l’histoire de l’humanité en passant par la fenêtre toutes les idées reçues héritées de la domination occidentale. Quelqu’un de plus militant que moi parlerait de « décolonisation » de l’histoire et il faut avouer que le terme est ici plutôt bien choisi.

Plus précisément, The Dawn of Everything, s’intéresse de près aux civilisations américaines pré-colombiennes (mais pas seulement) et démonte la thèse communément admise d’une évolution historique allant de la société de chasseurs-cueilleurs à l’agriculture, puis aux villes, aux états et à la société industrielle.

Les auteurs montrent qu’il existe beaucoup d’exemples de cultures qui sont « revenues » de l’étape agriculture, ou qui n’avaient des rois qu’en certaines saisons, ou même des villes qui semblaient être auto-gouvernées par des assemblées populaires. Tellement d’exemples, en fait, que l’évolution « historique classique » semble être plus l’exception que la règle.

Et si Graeber avait un biais anarchiste reconnu, son co-auteur Wengrow ne semble pas avoir de penchant politique particulier. De toute manière, tous deux ne basent pas leur théorie sur du vent, mais sur une interprétation rigoureuse de preuves archéologiques solides. Comme chacun le sait, la réalité est un phénomène aux penchants gauchistes bien connus.

Bon, le plus gros problème de The Dawn of Everything, c’est que c’est typiquement le genre de parpaing académique qui est difficile à poncer en une séance. Il a pour lui d’être bien écrit et pas trop abscons, mais pour tout vous dire, j’ai commencé à le lire au début de l’année et, si j’ai fait une pause en mars avril, je ne l’ai fini que ce matin. Heureusement que j’avais pris des notes…

Mais franchement, si on s’intéresse un minimum à l’histoire mondiale, à la préhistoire et à la déconstruction des préjugés, The Dawn of Everything est une lecture impressionnante, qui ouvre des horizons vertigineux. Il n’est sans doute pas sans défauts d’un point de vue académique, mais je veux espérer que David Graeber et David Wengrow auront contribué à un changement majeur de paradigme sur ce sujet.

Pour les allergiques à la langue anglaise, il a été traduit en français sous le titre Au commencement était…

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