En 1935, Ella Maillart, accompagnée du journaliste anglais Peter Fleming, part de Beijing (qu’on appelait encore à l’époque Pékin) en direction du Sinkiang, alors interdit aux étrangers pour cause de guerre civile (et d’autres grenouillages géopolitiques). Oasis interdites est le récit de ce voyage de plus de six mois, fait de ruses et de faux-semblants pour tromper autorités chinoises et despotes locaux et approcher une région déjà rebelle, entre zones d’influences et cultures russes, chinoises, turques, perses et indiennes.
L’ouvrage est en grande partie dans la lignée du précédent, Des Monts célestes aux sables rouges: récit de voyage autobiographique d’une Suissesse dans l’Extrême-Orient, loin des sentiers battus, c’est une plongée assez impressionnante dans le quotidien des caravanes qui sillonnent les contreforts de l’Himalaya et une Chine encore tiraillé entre Kuomintang, Communistes et Seigneurs de guerre – plus quelques puissances étrangères, pour faire bonne mesure.
Il y a cependant un élément qui change la donne: la présence de Peter Fleming. “[U]n morceau d’Europe, matière isolante, nous accompagnait inévitablement par le seul fait de notre communauté”, écrit l’auteur; c’est une phrase que je cite car elle m’a marquée, rejoignant d’une certaine façon mes sentiments récents d’étrangeté au Bangladesh. Cette présence insuffle d’ailleurs également une dynamique un peu différente au récit, qui devient d’une certaine manière à deux voix.
Le voyage d’Ella Maillart et de Peter Fleming, c’est un peu la Croisière jaune à l’envers – Ella Maillart en a d’ailleurs rencontré certains des membres à Pékin – et sans moyens modernes. D’une part, le chemin se fait dans l’autre sens (et plus au sud) et, d’autre part, il est plus lent. Ce n’est pas un périple mécanique, l’Europe moderne allant vers l’Orient encore sauvage, mais une découverte à dos de cheval, de poney, de chameau, voire à pieds.
On sent l’écriture d’Ella Maillart un peu plus affirmée; même si elle reste souvent dans le domaine de l’anecdotique, on sent poindre par endroits un “plus” un peu littéraire, une attention particulière pour la langue, qui rend le récit plus agréable à lire. L’adjonction dans l’édition d’un corpus de notes et d’un glossaire facilite également l’accès à un texte où fourmillent les termes empruntés aux dialectes locaux. Le tout reste tout de même un peu daté, mais pas de façon rédhibitoire.
Oasis interdites, c’est trois-cents pages d’aventures dans une région qui reste encore affreusement mal connue et, une fois encore, une mine d’informations, d’anecdotes et de rencontres pour n’importe quel univers qui implique des peuples nomades vivant dans les marches de grandes nations et, plus spécifiquement, des aventures pulp se déroulant dans les années 1930.
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