J’ai presque hésité à publier cet article vendredi passé, droit derrière un échange particulièrement virulent au sujet du projet de loi “antiterroriste” discuté par le Parlement français. J’utilise des guillemets parce que je considère que ce projet n’a pas grand-chose à voir avec l’antiterrorisme et beaucoup plus avec un désir de plus en plus profond de contrôle institutionnel sur un peu tout ce qui dépasse.

Je n’ai pas envie de revenir sur le projet en lui-même; de mon point de vue, la Quadrature du Net le fait beaucoup mieux que moi. Ce qui m’inquiète plus, c’est que de tels projets sont des symptômes de tendances plus lourdes et beaucoup plus inquiétantes, principalement chez nos gouvernants, mais également chez un certain nombre d’acteurs du secteur privé.

(On pourrait d’ailleurs dire que c’est un peu la même chose, au travers du relai des lobbyistes, mais là encore, ce n’est pas la question que je souhaite aborder. Pas dans cet article, en tous cas.)

Le terroriste, c’est un peu le nouvel homme de paille à la mode. Il y a près de dix ans, Bruce Schneier parlait déjà des “quatre cavaliers de l’Apocalypse“: les trafiquants de drogue, les kidnappeurs, les violeurs d’enfants et les terroristes. Plus près de nous, Reflets ricane sur le thème des “terroristes pédonazis” depuis déjà trois ans.

Ça devient lassant. Principalement parce que le raisonnement est profondément débile: pour reprendre l’expression américaine, “les terroristes détestent notre liberté”, donc supprimons les libertés.

Car il ne faut pas se leurrer: la plus grande partie des lois dites “antiterroristes” visent à introduire des législations d’exception, voire carrément des processus extrajudiciaires, qui court-circuitent la justice par des systèmes administratifs qui ne s’embarrassent pas de voies de recours.

Plus généralement, alors que nous vivons une des périodes les plus pacifiques de l’Histoire – ce qui pourrait ne pas durer – tout est fait pour créer une culture de la peur. De même que l’économie instrumentalise le chômage, gouvernants et acteurs privés instrumentalise la peur de l’étranger. Et c’est ainsi qu’on nous fait passer une poignée d’hurluberlus surarmés pour une armée de barbares prête à raser notre si belle civilisation tout en marchant sur les pelouses et en-dehors des clous.

On est complètement dans ce que j’appelais la mystique de l’abus, en faisant payer au plus grand nombre les exactions d’une poignée d’illuminés manipulés par des gens avides de pouvoir. Soudainement, tout le monde est potentiellement coupable, jusqu’à preuve du contraire.

En fait de barbares, nous sommes en train de faire tout seul ce que nous reprochons à ces hordes fictives: nous détruisons notre propre mode de vie, basé sur la démocratie, la présomption d’innocence (en d’autres termes, la confiance) et les droits de la personne. Et tout ça pour nous protéger d’un risque qui, s’il existe bien, est infiniment moins dangereux pour notre société dans son ensemble que le panoptique pseudo-démocratique qui s’annonce.

Comme je l’ai dit, ce sont des tendances lourdes, qui sont à l’action depuis pas loin d’une génération et qui, du coup, sont difficile à endiguer – voire à identifier, parfois.

Lutter contre le sentiment d’insécurité, c’est déjà refuser d’avoir peur – ou en tous cas refuser de laisser nos réflexions et décisions être guidées par la seule peur. L’ennemi n’est pas à nos portes et plutôt que de gesticuler en proposant des solutions à (très) court terme, mieux vaut réfléchir un peu et essayer de construire une société qui ne ressemble pas à une prison.

Avoir un regard critique sur le médias est toujours aussi capital, tout comme l’est la volonté de dialoguer avec l’autre – celui qui est différent tout comme celui qui a des idées différentes des siennes. S’il y a combat, ce n’est pas celui de l’idéologie X contre l’idéologie Y, mais plutôt de ceux qui cherchent le compromis contre les radicaux à tous crins.

De façon générale, il faut aussi arrêter de penser qu’on n’y peut rien, que rien ne changera. C’est une prophétie auto-réalisatrice. Rien qu’affirmer clairement son refus des solutions de facilité peut contribuer à changer les esprits et c’est sans doute ce dont notre époque a le plus besoin.

(Image: caméras de sécurité à la station New Street de Birmingham, par Mike1024, via Wikimedia Commons, domaine public.)

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