IA qu’à

À moins que vous ayez passé les six derniers mois enterré au fond du Désert de Gobi, vous n’avez pas pu rater la soudaine démocratisation de l’IA générative et les discussions autour de l’impact que cette arrivée a eu sur beaucoup de métiers et notamment les milieux artistiques.

Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne suis pas fondamentalement opposé à cette nouvelle technologie.

Je vous laisse cinq minutes de pause pour me balancer virtuellement tomates, pavés et bombes atomiques.

Plusieurs raisons pour cela. La première est une forme de résignation: le génie est sorti de la boîte proverbiale et pour l’y remettre, il va falloir des moyens franchement brutaux. Je n’ai pas envie d’être un des crânes de la pyramide à l’arrière-plan d’un décor post-apocalyptique.

La deuxième, c’est que j’utilise déjà ce genre d’outils. Oui, et vous aussi si ça se trouve, surtout si vous êtes graphiste. Il existe une blinde de fonctionnalités – transcription automatique de vidéos, correction de bruit sur les photos, remplissage ou détourage « intelligent », etc – qui se basent sur des technologies similaires.

La troisième est liée à la précédente et c’est peut-être la plus importante: ce sont des outils. Et en tant qu’outils, ils peuvent être utiles.

Pour le moment, je n’ai pas encore fait joujou avec les systèmes de création d’image, comme Midjourney, ou de génération de texte, comme ChatGPT, mais je vois assez bien les utilisations que je pourrais en faire.

Par exemple, quand je commencerai à réfléchir aux illustrations pour Erdorin:2300, j’aurai peut-être envie de proposer des mises en scène ou des personnages comme inspiration pour mes illustrateurs. Et pour ça, je pourrais utiliser Midjourney. Si j’ai souvent une assez bonne idée de ce que je veux, ma carrière de dessinateur est loin derrière moi et l’idée de générer une scène avec du texte me paraît très intéressante.

Mais par contre, je me refuse à faire appel à ce genre d’outils pour quelque chose qui sera produit et vendu. Je peux comprendre que, pour certains créateurs, la tentation soit grande de couper les coûts et utilisant des illustrations générées artificiellement, mais je suis d’avis que ce genre de contenu devrait être incompatible avec un usage commercial.

Parce que, de mon point de vue, le vrai problème, ce ne sont pas les technologies en elles-mêmes, mais, d’une part, que ces technologies utilisent fonctionnent le plus souvent en « pillant » des ressources qui sont en accès libre sur Internet, mais pas forcément libres de droits, et, d’autre part, l’usage que vont en faire des compagnies dont le domaine est la création de contenu.

Je me souviens avoir récemment vu passer une citation d’Alexandre Astier qui disait « si l’intelligence artificielle est capable de m’imiter, c’est que je suis le problème – pas l’ordinateur » (c’était dans Le Figaro, donc je ne vous mettrai pas le lien, d’autant que l’article est derrière un paywall).

Avec tout le respect que je lui dois, je pense qu’il se trompe de danger. Le souci n’est pas qu’un jour l’IA soit meilleure que lui, mais plutôt qu’un producteur décide que sa marge de profit serait meilleure avec une IA qui fait du sous-Astier qu’avec le vrai bonhomme.

En fait, les IA, c’est comme les lundis: vous ne détestez pas les IA, vous détestez le capitalisme.

Image: “blue and white crt monitor and keyboard set” via Peakpx, CC0.

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7 réflexions au sujet de “IA qu’à”

  1. C’est vrai que la démocratisation des algorithmes créatifs posent pas mal de problèmes.
    Je me demande si ces outils ne risquent pas d’uniformiser les canons esthétiques et la pensée, car ils travaillent avec les mêmes sources et utilisent des algorithmes quelques peu figés. ChatGPT sort des résultats basés sur des bases de données pas souvent à jour par exemple (musique).
    J’ai joué une fois avec Midjourney et les résultats sont impressionnants, mais je pense que pour en faire vraiment quelque chose il faut une très bonne maîtrise des mots clés et c’est presque un processus créatif en soit.
    Mais bon je préfère un travail réalisé par un dessinateur à l’encre de Chine et à l’aquarelle.
    Je suis vieux jeu.

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    • Je ne pense pas, il y a une bonne chance que ce soit le contraire. Ces algorithmes peuvent être entrainés sur des très gros corpus d’images et ce nombre va augmenter. On peut imaginer une IA qui a «vu» des œuvres anciennes ou venant d’autres cultures que l’artiste humain n’aura pas vu.

      Quand au support physique, entrainer une IA à manier un pinceau plutôt que de produire des pixels, c’est déjà possible: https://www.nytimes.com/2023/05/02/science/ai-creativity-paintbot.html

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  2. À peu près pareil.. je vois mal un retour en arrière se faire… Là, on parle des artistes, mais j’ai vu certaines expériences de programmation informatiques aidées (pour le moment…) pour créer le squelette du code, et c’est sans compter ce que nous réserve l’avenir…

    J’ai tripoté un peu Midjourney, pour m’amuser mais aussi pour illustrer mes playlistes Spotify (tu peux voir ici: https://cretch.net/midjourney/). Clairement, j’aurais jamais payé pour cela.

    Hier, j’ai testé la beta de Photoshop avec le Generative fill. je vais encore un peu faire le tour avant d’en publier des exemples mais j’ai pu enlever en 1min des bittes bloquant une rue, le marquage au sol d’un passage piéton, sur des pavés etc… Un résultat qu’on peut obtenir de manière “traditionnelle” bien évidemment mais beaucoup moins vite et + laborieusement. Je ne vais pas me gêner pour utiliser cela sur par exemple des photos de concerts pour virer ces %&%ç*& de pieds de micro 😀

    Mais ça me pose la question d’où l’on met la limite? Générer une image pour sa vignette YouTube ou son article, virer une main parasite dans une photo de mariage, créer un design de t-shirt ?

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    • Oui, pour le code, j’en ai discuté avec mon beau-frère et néanmoins ami Fulgan, qui apprécie beaucoup les possibilités qui existent sur ce point. Je n’en ai pas parlé, parce qu’autant ma carrière de dessinateur est loin derrière moi, autant ma carrière d’informaticien est au fond du Léman, les pieds attachés à un terminal DEC.

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  3. J’ajouterai qu’il y a une toute une classe de problèmes où ces algorithmes sont nécessaires, que ce soit la recherche médicale ou physique, ou l’accessibilité pour les personnes qui ont un handicap [Film de Apple] https://youtu.be/8sX9IEHWRJ8

    Dans le domaine des contenus (artistiques ou non), je pense qu’il y a un carambolage de problèmes: trop de contenus – 95% des contenus imprimés (magazines, publicités) que je reçois passent au recyclage direct, trop de gens dont le boulot consiste à synthétiser des informations (faire des slides) ou diluer des informations (écrire un article à partir d’un dépêche d’agence, d’un chiffre publié ailleurs). En même temps, les gens vivent dans des silos culturels parce qu’ils ne peuvent pas lire/comprendre des contenus qui sont dans une autre langue. Jusqu’à présent, avoir un supplément de JdR avec toutes les quelques pages une fresque détaillée n’était pas viable…

    Le gros problème social, à mon avis, c’est qu’on va vers une inversion col blanc – col bleu, et ça va être douloureux, surtout dans les cultures qui hiérarchisent beaucoup les deux: https://wiesmann.codiferes.net/wordpress/archives/36062

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  4. Je ne suis pas assez calé dans le domaine pour émettre un avis pertinent. Trop de variables m’échappent. Je suis d’accord sur le point profit et c’est bien cela qui détruira, sans doute, de nombreux emplois au lieu de soulager ces derniers.

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  5. Merci pour la réflexion. Effectivement, l’outil est là, à nous de définir, en tant que société, comment nous allons l’utiliser, quelles sécurités nous allons placer pour que l’outil ne se change pas en arme ou en danger. Un marteau sert à planter des clous, il peut aussi casser des crânes. L’I.A. pourra certainement faciliter la vie à plein de monde, mais elle pourra aussi mettre des vies ou des carrières en danger. On peut penser à la génération accélérée de fake news toujours plus difficiles à débunker, par exemple.

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