Ce n’est un secret pour personne: j’aime bien les uchronies et les technologies rétrofuturistes. C’est pourquoi l’intérêt de mon confrère en trucs rôlistes idiots – j’ai nommé Thias – pour ce qu’il appelle un Jeu Dieselpunk a, par contrecoup, éveillé le mien.
En réfléchissant sur les premiers textes sur lesquels il travaille, cela m’a rappelé un article – limite un manifeste – de l’auteur britannique Nick Harkaway sur le steampunk que j’avais lu il y a bien longtemps.
Intitulé The Steampunk Movement is Good and Important, il pose pas mal de notions très intéressantes sur ce genre, mais notamment sur la technologie. En très résumé, la technologie steampunk est encore accessible au commun des mortels; elle est brute, peu sophistiquée, mais compréhensible.
Je mets au défi la plupart des lecteurs de ce blog (ceux qui ne sont pas ingénieurs, par exemple) d’expliquer clairement comment fonctionnent la plupart des technologies contemporaines – à commencer par l’ordinateur avec lequel ils le lisent. Dans le steampunk, les utilisateurs sont (un peu) ingénieurs et concepteurs.
C’est marrant, parce que d’un certain côté, c’est peut-être l’aspect le plus “punk” du steampunk: faites les choses vous-mêmes (comme décrit dans The Pirate Dilemma). Au lieu de monter sur scène et faire de la musique, il suggère à ses acteurs de fabriquer eux-mêmes leurs gadgets.
De ce point de vue, le dieselpunk est un peu le cul entre deux chaises: il essaye de garder une technologie simple et une certaine élégance, mais il est pressé au cul par un développement industriel (Ford et Taylor en tête) qui n’a que faire de ses états d’âmes et qui recherche l’efficacité avant tout.
Thias parle, dans son article, du côté ambigu de la période, mais cela se ressent aussi au niveau technologique et cela a des répercussions sociales. Après, c’est la disparition de l’artisanat et des petits boutiquiers, l’automatisation et la rationalisation jusque dans les campagnes; la technologie se démocratise, mais sa compréhension se perd – ou, pour être plus précis, ne se transmet plus qu’à une élite, elle-même de plus en plus spécialisée.
Le “formicapunk” de Boulet pourrait être vu, dans cette optique, comme un désir de revenir vers une période théoriquement plus simple. D’une certaine manière, pour ce qui est de l’informatique, c’était le cas et l’évolution continue un peu dans le même sens: on va de machines qu’on programmait soi-même à des gadgets “boîte noire” que les constructeurs limitent de plus en plus.
Steampunk et dieselpunk – et, dans une certaine mesure, le punk tout court – nous parle de notre relation avec la connaissance en général et la technologie en particulier. Plus que d’engrenages et de chapeaux haut-de-forme, ils reviennent sur une période où le style et la substance étaient en équilibre – plus ou moins précaire.
Ils nous disent aussi qu’il est plus important de s’approprier les outils, plutôt que juste les utiliser. Ce en quoi ils rejoignent le message des partisans du libre et autres “pirates”.
Après tout, nos ordinateurs valent bien un zeppelin.
(Image par Deben Dave via Wikimédia Commons, domaine public.)
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maker-punk !
Dans cette optique, à mon avis, “makerpunk” est un pléonasme.
Ca me donne presque envie de tenter de théoriser sur le punk-fantasy, mais je sens que je n’aurais pas le talent de Thias et toi pour cela.
Ce n’est pas très compliqué: il suffit de dire qu’à un moment, des gens ont commencé à bricoler de la magie sans passer par les écoles de mages et que ça a foutu le dawa dans la société.
En fait, la recette du whateverpunk, c’est
Intéressant, et d’ailleurs j’en viens naturellement à ms propres démons :
Le cyberpunk peut de son côté être vu comme l’apogée de la “boîte noire”, un monde dans lequel la technologie envahie tout mais où personne ne peut vraiment dire de quoi elle est faite, comment elle fonctionne, et à quoi elle est utilisée… Jusqu’a la prise d’indépendance de la machine, et l’aliénation totale de l’homme par elle.
Pas forcément. C’est aussi le royaume de la débrouille, où la technologie est dans les rues, dans les arrières-boutiques, retravaillée, modifiée, détournée… C’est encore plus frappant dans le “post-cyberpunk”, qui intègre les imprimantes 3D et d’autres technologies du même genre.
Pas faux. Mais gare aux sous-sous-sous-genres. 😉
Tu connais mes chroniques musicales… 😉
Hum, je ne suis pas convaincu par la technologie “plus abordable” du steampunk; évidemment une locomotive à vapeur est à première vue plus facile à expliquer qu’un ordinateur, mais à l’inverse je pourrais te mettre au défi d’expliquer clairement la thermodynamique du principe de Carnot faisant tourner ces bonnes vieilles locos.
Je pense que cette impression de simplicité technologique du steampunk est illusoire, certains concepts désuets issus de l’histoire de la physique utilisés par les auteurs de ce mouvement sont d’ailleurs tellement complexes que je doute qu’ils le comprennent vraiment – à moins d’avoir fait des études de physique. Prenons l’éther, notion assez délicate à aborder. La chaîne youtube steampunk physics s’est mise au défi de l’expliquer clairement, avec d’autres concepts, appuyant ainsi mes propos : non steampunk ne rime pas avec science ou technologie simpliste/facile :
https://www.youtube.com/user/SteamPunkPhysics
Bref, les genres en -punk ont un rapport étroit avec la technologie, on est d’accord, mais il n’y a pas de technologie plus facile à comprendre dans un de ces genres par rapport à l’autre. Tout dépend de la façon dont on les traite, et en général, oui on est d’accord, pour le steampunk on a cette impression de simplicité. Mais il faut se méfier des boulons et des écrous, ils sont malins !
C’est clair, c’est une simplification. Mais j’ai l’impression que, dans la littérature steampunk, tout le monde est un peu ingénieur – parce que sinon, la technologie ne fonctionne pas. Et j’ai aussi l’impression que c’est ce côté “tout le monde met les mains dans le cambouis” qui est importante.
Mais je fais peut-être une transposition de “l’esprit hacker” là-dessus.
Cela doit aussi dépendre de nos lectures steampunk respectives, mais le personnage du savant, ingénieur ou technicien étant un prétexte à technologie rétro et inventée, elle-même prétexte au genre steampunk… Ce sont donc des personnages fréquemment croisés, forcément.
Je confirme l’aspect non trivial de la technologie de l’âge de la vapeur. Ce que je soupçonne c’est que la partie attirante de cette époque est l’impression que la technologie restait cantonnée aux salon des curiosités et n’avait pas encore “beaucoup” influencé la société: il y a encore des nobles, des costumes, etc…
Justement, je pense que le “punk” du steampunk implique précisément le contraire: que cette technologie, cantonnée au salon des curiosités de la haute société, en sort peu à peu et est reprise à sa sauce par des bricoleurs de génie de basse extraction.
Du coup, les frontières sociales explosent lorsque des roturiers pur jus rivalisent avec le baron von Badabum. Parfois littéralement.
J’ai l’impression que le côté punk est juste la personification de l’aspect disruptif des nouvelles technologies. Au fur et à mesure que le genre devient mainstream, ce côté s’estompe jusqu’à ce que ne devenir qu’une provocation esthétique: fétichisme pour le cyberpunk, burlesque pour le steampunk, militarisme pour le dieselpunk…
J’avoue, je le prends comme une esthétique, mais aussi un clair état d’esprit. Je suis un peu à mi-chemin entre les avis de Thias et Alias. En fait le “wathever-punk” veut réécrire une histoire-charnière, quand un nouveau jalon d’innovation technologiques prends son essor, et soudain change toute la société, dans une intime et directe confrontation, avec ses effets pervers, et merveilleux.
C’est pour cela que je réalise qu’avec Loss, je fais du Fantasy-punk (à défaut de savoir comment le nommer autrement). La Renaissance, l’apparition des premières universités laïques et surtout de l’ingéniérie, des Vinci partout, des navires lévitants qui tracent sur mer, comme sur terre dans un monde où voyager à pied est une forme intéressante de suicide par moment, et un métal merveilleux qui permets de tricher avec certains lois de la physique, lévite, permets de produire de l’électricité, est disputé par tout le monde, et se trouve au centre d’une lutte entre l’Eglise, et les hommes progressistes, à Loss incarnée principalement par la Ligue des Marchands…
Et en fait, si je prends tous ces éléments, c’est vraiment la mise en scène de cette confrontation à un boum technologique, à un basculement de civilisation, mais sans qu’on puisse savoir si cela ne va simplement pas causer les pires ravages. Et bien sûr, c’est excuse à plein de gadgets et d’esthétisme, et de délires amusants et intéressants. Mais je pense que le fond, cette peur d’un basculement qui peut changer le monde complètement, est en train de le faire, mais on ne sait pas dans quelle direction, parce qu’on ne peut percevoir la limite de cette révolution, est en grande partie le “sujet” du wathever-punk.
Bonjour ! Je découvre votre article des années après sa publication en surfant sur les entrées dieselpunk de Google. Je pense que le steampunk et le dieselpunk sont évidemment des sources esthétiques intarissables. Cependant, ces genres rétrofuturistes ne tiennent pas compte de la possible extinction des sources de pétrole, d’une part, et de charbon, d’autre part. Pour ma part, je suis partisan d’un genre outsider, le oil-punk dans un monde où il ne reste plus que les agrocarburants, et encore en petite quantité.
Article sur mon blog :
http://leschroniquesdeflorian.unblog.fr/2018/10/12/hugo-le-petit-macho-dieselpunk/
Amicalement,
Florian
Hello et bienvenue!
Il est un peu normal que ni le steampunk, ni le dieselpunk ne prennent en compte l’extinction des énergies fossiles: ce n’a été d’actualité que depuis les années 1970, en tout cas. Après, il existe un certain nombre d’œuvres qui jouent à la fois sur ces esthétiques et sur une approche un peu post-apo qui met la rareté des ressources (comme le carburant) au centre du contexte.