Sic transit la presse satirique française

Il y a quelques jours, j’ai reçu mon avis de réabonnement au Canard enchaîné. Et, soudainement, il m’est arrivé quelque chose d’inédit: j’ai hésité à me réabonner. Parce que le Canard enchaîné a du plomb dans l’aile, comme un peu tous les médias satiriques français, d’ailleurs.

Il y a ceux qui ont été flingué par des nouveaux patrons bien réacs, comme Les Guignols de l’Info ou Groland. Il y a celui qui, objectivement, est mort assassinée sous les balles des fanatiques en janvier 2015 – même s’il m’a fallu un moment pour mon rendre compte.

Et puis il y a ceux qui, insidieusement, années après années, glissent lentement dans un conservatisme de plus en plus en porte à faux avec l’époque (ou peut-être pas, mais ce n’est pas une meilleure nouvelle) et qui, en plus, se compromettent dans des combines qu’il sont, en temps normal, les premiers à dénoncer.

Je lis le Canard enchaîné depuis fin 1994; je l’achetais au numéro et j’ai fini par m’abonner il y a une douzaine d’années, je pense. Idem pour Charlie-hebdo, dont je fus un fervent lecteur depuis 1999 et que j’ai fini par abandonner à ses obsessions antimusulmannes il y a quelques années.

Cette déliquescence est d’autant plus difficile à admettre quand on voit que le reste des médias, surtout en France, sont en train de devenir les joujoux de milliardaires assez peu enclins à laisser un contre-pouvoir faire ce qu’il doit, voire un outil de propagande ultra-réactionnaire. La presse est censée être un contre-pouvoir et plus encore la presse satirique, surtout le Canard enchaîné, qui affiche depuis quelques décennies une indépendance financière solide.

Et donc, j’ai hésité. Au final, je vais sans doute renouveler mon abonnement. Cette année. L’année prochaine, je crains que ça ne soit plus dur à justifier. Et ça ne me fait pas vraiment plaisir.

Photo: Rafik Ghezal via Pexels.

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8 réflexions au sujet de “Sic transit la presse satirique française”

  1. J’ai l’impression que les organisations, quel que soit leur type ont tendance à vieillir – avec plus ou moins de grâce. Et se réinventer quand on est un des pilier de la société (enfin d’une société) c’est d’autant plus difficile…

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    • Bien sûr, mais dans le cas du Canard enchaîné, on parle quand même d’un truc qui a survécu à plus d’un siècle et deux guerres mondiales. Et puis bon, techniquement, ils ont assez de réserves pour pouvoir tenir genre dix ans, mais ces temps, ils filent vraiment un mauvais coton.

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      • Les réserves sont à mon avis à double tranchant, elles permettent aussi de pas se remettre en question. Mon impression très subjective du canard, c’est que c’est un journal très franco-français, adapté à la politique française, mais quand on touche des thèmes comme l’écologie qui ne sont pas vraiment une exclusivité de l’hexagone…

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  2. Je te trouvais bien disert sur tes raisons, et en suivant les liens, ça se comprend nettement mieux.
    Peut-être aussi l’époque n’est plus à la satire, par nature politiquement incorrecte et donc désormais “indésirable” alors qu’elle est un poil à gratter qui n’est pas inutile…

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    • La vidéo de Blast est probablement très subjective, mais elle recoupe sur certains points l’autre article (et il me semble que j’en avais lu encore un autre sur le même sujet). Et, pour avoir lu quelques ouvrages sur l’histoire du Canard, c’est plutôt plausible.

      Quant à la satire, je pense qu’elle est d’autant plus nécessaire dans la période actuelle et, quelque part, l’acharnement contre elle des puissants en est la preuve.

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  3. Je ne me suis pas réabonné non plus, mais c’est parce que je n’arrivais pas à suivre le rythme et lire en une semaine… il me reste des exemplaires non lus d’il y a 18 mois… 😉

    Ton premier lien (“le Canard est misogyne et masculiniste” et a le désavantage de dater de 2015 et de citer une thèse de 1995. ça commence à dater. Il exagère aussi : “l’album de la comtesse” est “grivois, donc masculiniste”. Ben y a qu’à pas le lire – je ne faisais pas les mots croisés non plus!

    Je ne dis pas que c’est la perfection, mais rien que pour les critiques ciné… 😉 Attendons le prochain scandale que le palmipède sortira – sans le Canard, on aurait François Fillon comme président – et il se révélera comme le pilier de la démocratie qu’il est, même avec ses défauts 🙂

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    • Ah oui, le rythme de lecture, c’est parfois difficile. Fût un temps où je lisais aussi le Monde Diplo et j’ai arrêté parce qu’il me fallait plus d’un mois pour lire un numéro.

      Pour le côté “vieux et mascu”, ça correspond avec un autre article, plus récent il me semble, et aussi avec mes observations propres en lisant le journal: dès qu’il y a des sujets genre personnes LGBT ou touchant l’écologie, à part un ou deux rédacteurs, c’est le mode “café du commerce”.

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