Cedant arma populo – un certain 26 novembre

Il y a des défaites qui ont le goût de la victoire: le 26 novembre 1989, il y a donc trente ans, 35% des votants demandaient l’abolition de l’armée suisse – c’est-à-dire plus d’un million de votants, et plus de 50% à Genève et dans le Jura.

Kaspar Villiger, Conseiller fédéral en charge de l’armée qui avait publiquement affirmé qu’à plus de 18% de “oui”, ce serait une catastrophe, rétropédalait à grande vitesse. Et, même si la votation “pour une Suisse dans armée” ne passait pas la barre, rien ne serait plus comme avant au pays du citoyen-soldat.

Une fois n’est pas coutume, c’est la Tribune de Genève qui m’a inspiré ce billet, principalement par un article qui revient sur le sujet avec une interview de Paolo Gilardi, un des meneurs de cette initiative à l’époque.

Si l’article titre “la Suisse a cessé d’être une armée”, c’est en référence à la prise de position officielle du Conseil fédéral, le gouvernement suisse, face à cette initiative, mais aussi au sentiment prévalent à l’époque. “L’Armée, ciment du peuple” était un slogan populaire alors.

D’un côté, en 1989, la Suisse fêtait le cinquantième anniversaire de la “Mob”, la mobilisation générale de 1939. L’événement occupait une place de choix dans le mythe de la neutralité armée suisse, glorifiant la défense des frontières face aux envahisseurs de tous poils.

De l’autre, le pays venait de vivre un scandale majeur avec “l’affaire des fiches”, qui avait révélé que près d’un million de personnes considérées comme “peu sûres” avaient été surveillées par les services secrets du pays – couplé avec les projets P26 et P27, respectivement une armée secrète et un service de renseignements parallèles chargés d’organiser la résistance en cas d’invasion soviétique, voire en cas de victoire de la gauche aux élections.

Pour ne rien arranger, début novembre, le Mur de Berlin tombait et, avec lui, la plupart des régimes communistes en Europe de l’Est. Plus tard, le scandale de l’or des Juifs aboutira à une relecture historique du “roman national” construit sur le comportement de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

C’est peu de dire que j’avais suivi l’affaire de près: à l’époque, j’avais vingt-deux ans, absolument aucune envie de faire l’armée et, du coup, un horizon qui se résumait à y aller quand même ou faire de l’objection de conscience et, donc, de la prison. Aucune des deux perspectives ne me réjouissait particulièrement.

Et je confirme que, dans mon souvenir en tout cas, le résultat du scrutin a foutu une bonne grosse baffe aux institutions militaires. Surtout face à des interlocuteurs genevois ou jurassiens. J’ai fini par me faire virer pour raisons médicales après quatre jours d’école de recrue, mais, allez savoir pourquoi, les règles avaient évolué entre le moment de mon arrivée en caserne et la visite médicale, trois jours plus tard.

J’avoue que, depuis, mon antimilitarisme primaire a quelque part évolué. Certes, je pense toujours que l’armée suisse, ça tue, ça pollue et ça rend con (les autres aussi, sans doute, mais celle-là je la connais), mais je ne serais plus aussi catégorique si la question de son abolition devait de nouveau se poser.

J’aurais surtout aimé que se développe un service civil qui soit une vraie alternative au service militaire, mais visiblement, celui qui est en place fonctionne suffisamment bien pour faire râler les militaires.

(Indice: la bouffonnerie qu’est le SNU français, ou Service national universel, n’est pas non plus un bon exemple.)

Il n’empêche que, ce soir, j’ouvrirai une bière à la mémoire du Groupement pour une Suisse sans Armée et de ce fameux 26 novembre 1989.

Photo: Couteau suisse, avec propagande pour l’abolition de l’armée suisse (1988). Domaine public via Wikimedia Commons.

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