En apparence, Cahokia Jazz, de Francis Spufford, a tout du roman noir: un flic idéaliste, un meurtre, les USA des années 1920, la Prohibition, le jazz et le Ku-Klux Klan. Sauf que, comme son nom l’indique, il se déroule à Cahokia.

Cahokia est une cité d’Amérique du Nord qui a connu son apogée… entre les dixième et treizième siècles. Abandonnée quelques temps avant l’arrivée des premières missions jésuites, elle se situait non loin de Saint Louis, sur les rives du Mississipi.

Sauf que, dans cette uchronie, les Jésuites et les peuples natifs ont forgé une alliance et ont repeuplé la ville, y attirant au fil des siècles d’autres peuples natifs, des esclaves en fuite et même des Irlandais persécutés par la majorité protestante. Et si, en 1922, Cahokia fait partie de l’Union, c’est une cité à la culture résolument métisse, où la ségrégation n’existe pas.

Mais l’équilibre est toujours précaire: les takatas – les descendants d’Européens, par opposition aux taklousas, descendants d’Africains et aux takoumas, les natifs – n’ont pas digéré leur humiliante défaite en 1848 et encore moins que la ville intègre les USA selon ses propres termes, impactant par sa résistance le reste de la colonisation du continent.

Tout ceci pour en venir à ce roman, Cahokia Jazz, qui reprend les codes du roman noir – et pas mal des clichés – pour livrer une histoire quelque peu différente.

En effet, l’histoire se centre surtout sur Joe Barrow, un inspecteur de la brigade des homicides de la police. Il est lui-même d’origine native, mais élevé dans des orphelinats tenus par des descendants d’Européens, il n’a pas la culture locale, ce qui lui vaut pas mal de soucis. Policier plutôt idéaliste, il est également passionné par le jazz; c’est d’ailleurs un pianiste plutôt talentueux, reconnu par les musiciens du coin.

Et le voici lancé sur une enquête explosive: le cadavre d’un takata retrouvé au sommet d’un bâtiment gouvernemental dans ce qui ressemble à un meurtre rituel aztèque. Le fait que le bâtiment soit de forme pyramidale n’aide pas. D’autant que, si son partenaire semble prendre l’enquête avec nonchalance, le souverain local l’incite personnellement à aller jusqu’au bout. Oui, parce que si Cahokia a un maire et un gouverneur, elle a aussi une sorte de roi, au rôle théoriquement symbolique. Mais les symboles ont ici plus de force qu’ailleurs, et c’est d’ailleurs un des thèmes du roman.

Et donc, si Cahokia Jazz a les atours du roman noir, y compris la femme fatale, la vraie histoire est plutôt la trajectoire de Joe, les choix qu’il va faire et les conséquences de ces choix. Avec, en plus, une réflexion sur la notion de « roman historique »: Cahokia a construit son identité et sa légitimité sur une ascendance aztèque… complètement fictive. Mais qui risque néanmoins de se retourner contre elle.

Si vous connaissez mes goûts, vous aurez compris que ce roman coche beaucoup de mes cases: uchronie, nations natives américaines, réflexion sur l’histoire et son instrumentalisation. En plus, il est plutôt bien écrit, avec pas mal de rythme, et très immersif; je lui reprocherais peut-être un aspect « guide touristique » un peu trop marqué par moments, mais c’est mineur.

Ah, et restez jusqu’à la postface, qui contient une explication sur le point de divergence de l’uchronie et également un chouette œuf de Pâques pour les amateurs de littératures de l’imaginaire.

Je recommande donc Cahokia Jazz, que j’ai découvert grâce au blog de Cory Doctorow, à ceux qui cherchent de l’uchronie pas trop rentre-dedans et/ou les romans noirs qui sortent de l’ordinaire.

Stéphane “Alias” Gallay, graphiste de profession, quinqua rôliste, amateur de rock progressif, geek autoproclamé et résident genevois, donc grande gueule. On vous aura prévenu.

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