Au Bal des Actifs

J’avais entendu parler de cette anthologie, Au Bal des Actifs, au moment de sa sortie, début 2017. J’ai fini par l’acheter auprès de ma librairie anarcho-SF préférée – Fahrenheit 451. Pour un ouvrage sous-titré « Demain, le travail », c’est de circonstance.

Lancé par les éditions La Volte pile au moment de fortes contestations sociales en France – notamment autour de la Loi El Khomri – l’appel à texte a livré une belle fournée de nouvelles, souvent dystopiques. On a du coup un beau petit pavé de près de six cents pages, au format presque-poche,

Parmi les auteurs, on trouve du beau monde! Karim Berrouka, Sabrina Calvo, Alain Damasio, Catherine Dufour, Léo Henry et L.L. Kloetzer. Pour ne citer que ceux que je connais, donc. Les autres sont pas mal non plus.

C’est d’ailleurs Catherine Dufour qui ouvre le bal – justement – avec un « Pâles mâles » qui décrit un couple qui survit dans un univers ultra-ubérisé, flexible à l’extrême, où on enchaîne douze boulots par jour ou des formations bidon pour avoir juste de quoi survivre.

Puis Stéphane Beauverger nous zappe sur « Canal 235 » et un avenir où tout le monde est la star de sa propre émission de télé-réalité. Chacun est son propre produit et doit se vendre au mieux; l’image est tout – et malheur à celui sur qui l’opprobre arrive!

Changement d’ambiance avec « Nous vivons tous dans un monde meilleur », de Karim Berrouka. Une Cité à l’organisation infaillible, des castes de travailleurs, surveillance et dénonciation. Et un mystère, celui de la Zone d’or, réservée aux plus méritants.

« Vertigeo », d’Emmanuel Delporte, nous emmène dans une tour en éternelle construction, seul espoir d’une humanité condamnée par un cataclysme. Un travail dur, sans fin – mais pour quoi au juste?

Puis retour sur un terrain plus connu avec « La fabrique de cercueils », surtout pour ceux qui ont déjà lu d’autres ouvrages de L.L. Kloetzer dans l’univers du Satori (comme Anamnèse de Lady Star). Le duo d’auteurs s’appuie sur plusieurs éléments développés dans ces ouvrages pour y développer la vision d’une usine qui repose sur des principes d’endoctrinement soft, qui rappelle les « pionniers » de l’Union soviétique. C’est un des plus longs textes du recueil.

« ALIVE », de Ketty Steward, enchaîne les points de vue pour tisser une histoire qui mêle ressources humaines, réseaux sociaux, évaluation permanente et réalité virtuelle. Aucun système n’est sans faille.

Norbert Merjagnan reprend dans « coÉve 2051 », sans doute sans le savoir, la notion d’évaluation en inventant une société uniquement régie par une matrice d’évaluation. Un sytème qui redéfinit l’économie mondiale, mais vu par une anomalie: un SDF, ancien trader, qui refuse ce système.

On rebondit d’ailleurs sur l’idée du personnage hors système avec « Le Profil », de Li-Cam. Ici, c’est vers la religion que le multinationales ont évolué. Du manager au saint, ma distance n’est pas si grande.

Alain Damasio part lui sur la notion de créativité pour son texte « Serf-made man », avec un protagoniste qui intègre une des plus grandes agences de créatifs du monde et qui se retrouve face à ses limites, ses contradictions… et sa famille.

Je ne sais pas si c’est un choix éditorial, mais les trois derniers textes sont parmi les plus bizarres. « Miroirs », premier d’entre eux, est signé Iuvan; c’est une nouvelle chorale qui dépeint un monde robotisé où les humains ont enfin le pouvoir de faire ce qu’ils veulent vraiment.

Léo Henry, lui, propose une sorte de plongée dans le travail d’écrivain, avec son « Parapluie de Goncourt », texte court multiplié au fil de ses corrections, suggestions et annotations.

Enfin, Sabrina Calvo (sous son ancien nom) propose un échange épistolier futuriste et surréaliste, qui ressemble à une mise en abime du présent volume.

Au Bal des Actifs se conclut par une postface signée de Sophie Hiet, co-scénariste de la série Tripalium, produite par Arte.

Je vais être franc: ces trois derniers textes, je les ai survolés plus que je ne les ai lus. Les deux nouvelles de Henry et Calvo tiennent plus de l’exercice de style qu’autre chose. Devoir lire la même histoire, moult fois retravaillée, c’est pénible – surtout quand on lit avant d’aller dormir.

Mais, quelque part, c’est un peu le seul bémol que je trouve à ce recueil. Certes, il y a des nouvelles qui sont plus enthousiasmantes que d’autres – je pense à celles de Dufour, de Berrouka, de Merjagnan et de Damasio, notamment. Mais, globalement, il y a des très bonnes idées.

Alors oui, ces idées ne vont pas toujours aussi loin qu’elles le pourraient. Quelque part, c’est un peu à l’inverse de ce que fait un Cory Doctorow, par exemple: moins d’idées, mais plus d’histoires. Ce n’est pas plus mal.

Au Bal des Actifs est donc une anthologie solide, avec des textes qui apportent souvent des réflexions originales.

D’autres avis chez Le Chien critique, L’Ours inculte, Charybde 27, ainsi que des billets de Cosmo[†]Orbüs sur certaines des nouvelles, entre autres.

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1 réflexion au sujet de « Au Bal des Actifs »

  1. Comme dans tout ouvrage collectif, il y a du bon et du moins bon. Et il faut avouer que ce que l’on construit comme monde de merde est stimulant pour ce type de récit. Mais dans certains pays la réalité a déjà rattrapé la fiction.

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