Hier, je suis allé à une conférence du Forum des Archivistes – Genève sur le projet Archives Web Suisse de la Bibliothèque nationale. Le projet consiste à archiver une sélection des quelques 1.4 millions de sites en .ch, en coopération avec les bibliothèques cantonales, et se résume pour le moment à un chiffre assez peu impressionnant d’une centaine de sites archivés.

Bon, il faut voir que l’objectif de la BNS n’est pas non plus de faire une sauvegarde complète d’Internet (sur disquette) ou même de sa seule partie suisse, mais de ne conserver que ceux des sites qui ont une “valeur patrimoniale”. Il n’empêche que c’est le genre d’effort qui tient beaucoup de Sisyphe et de son rocher. Les technologies du web évoluent très vite, plus vite que les technologies d’archivage d’icelui, et le contenu disponible augmente de façon exponentielle.

Cela dit, c’est le genre de choses qui a attiré mon attention d’historien: une grande partie de ce qui fait notre patrimoine culturel en ce début de XXIe siècle (sans avoir même à juger de la qualité) est écrit sur du sable – littéralement, même si on me dira que le silicium n’est pas réellement du sable; que l’on m’autorise un minimum de licence poétique!

Il y a deux soucis majeurs: le premier, c’est comment conserver des données sur une très longue durée. On dira ce qu’on veut de l’impression traditionnelle, mais ça se conserve longtemps. Même le papier toupourri utilisé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle ne commence à partir en vrille qu’après quelques décennies; essayez seulement de lire une de vos vieilles disquettes d’il y a dix ans!

Le second, c’est que les formats eux-mêmes tendent à devenir obsolète très rapidement. Là encore, essayez d’ouvrir un fichier créé il y a dix ou quinze ans: il y a de bonnes chances qu’il ait été créé par un logiciel qui n’existe plus et ne tourne plus sur votre machine. Il y a certes des efforts de standardisation et le HTML créé par Tim Berners-Lee au tout début de ses bricolages est probablement toujours lisible par un navigateur récent, mais dès qu’on sort un peu des sentiers battus (au hasard, avec des programmes de mise en page), ça a toutes les chances de planter.

Parlera-t-on, dans un siècle, de notre génération comme d’un trou noir de l’Histoire, une “génération perdue” par faute d’archivage?

(Image: Archives de la Société des Nations (ONU Genève) par Calvinius via Wikimedia Commons, sous licence Creative Commons, partage dans les mêmes conditions.)

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