Troisième tome de la série de livres historique sur la Première Guerre mondiale signés Jean-Yves Le Naour, 1916 est sous-titré “L’enfer“. Ce qui pose la question suivante: en quoi cette année serait encore plus infernale que les invraisemblables boucheries de 1914 et 1915? La réponse tient en deux noms de lieu: Verdun et la Somme.
Car 1916, c’est l’année de ces deux offensives majeures, l’une allemande et l’autre franco-britannique, qui se répondraient presque si elles n’avaient pas été décidées en parallèle. Ce sont deux batailles de longue haleine – presque une année pour Verdun, plusieurs mois pour la Somme – qui vont devenir des symboles pour la France et la Grande-Bretagne.
Par “symbole”, il faut comprendre “déchaînement de violence et de morts pour un résultat final nul”. Ce sont deux batailles qui sont construites sur le même modèle, celui de la “guerre de matériel”, où l’attaquant s’efforce de mettre en place un maximum de canons et d’envoyer un véritable déluge de feu sur son adversaire. Les chiffres font peur: douze tonnes d’obus par mètre carré; ce qui fait encore plus peur, c’est que des soldats ont survécu à un tel traitement.
L’auteur pointe l’incurie du haut-commandement français, qui ne s’intéresse que très tardivement aux préparatifs allemands autour de Verdun; l’attaque a été repoussée pour cause de mauvais temps, ce qui est heureux. De même, les Franco-britanniques croient dur comme fer qu’ils bénéficieront de l’effet de surprise sur la Somme alors que les Allemands ont repéré leurs concentrations de troupe et de matériel depuis des semaines.
1916, c’est aussi l’année où la Russie s’enfonce dans le chaos politique mais, paradoxalement, relève la tête sur le champ de bataille. Ces résultats auront une conséquence malheureuse pour la Roumanie, qui rejoint le camp de l’Entente – France et Grande-Bretagne – pour se retrouver prise en tenaille entre la Bulgarie et l’Autriche-Hongrie.
Obnubilés par le front français et sérieusement échaudés par leurs précédents échecs dans les Balkans, les Franco-britanniques n’en ont cure. Ils considèrent les nations du sud-est de l’Europe comme quantité négligeable, comme le montrent les promesses improbables faites aux Roumains et les ahurissantes manœuvres militaro-diplomatiques contre la Grèce, qui est au bord de la guerre civile.
Au niveau politique, c’est également l’année où le gouvernement français se décide enfin à lâcher Joffre. La Somme est l’offensive de trop, qui plus est elle fâche les Britanniques, et la défense de Verdun a mis en lumière des nouvelles têtes qui pourraient très bien remplacer celle du généralissime, tout en étant plus conciliantes avec le gouvernement. Mais même là, ça ne se fait pas sans heurts.
Au reste, le gouvernement d’Aristide Briand – enfin, les divers gouvernements dirigés par lui – en prennent eux aussi pour leur grade. Ce qui est un comble, pour des civils (même s’ils comptent quelques militaires). Il est difficile de ne pas être surpris par l’aveuglement des militaires et des politiques – surtout si on a lu les deux tomes précédents, qui jettent déjà une lumière fort crue sur ces points précis.
Le livre met aussi l’accent sur les mouvements pacifistes, brièvement évoqués dans 1915, mais qui lors de cette année commencent à prendre de l’ampleur, surtout dans les mouvements syndicaux. C’est également l’occasion de parler un peu de ce qui se passe en Allemagne, même si le plus clair de l’ouvrage est de nouveau consacré à la France. Il y a également des passages sur la situation en Russie, qui sombre politiquement.
Et, bien sûr, toujours de nombreux titres de presse qui mettent en lumière le patriotisme béat de la plupart des médias de l’époque, ainsi que le travail de la censure. J’ai par contre été étonné de ne pas voir mention de la naissance du Canard Enchaîné, qui naît cette année-là.
En conclusion, 1916 est un nouvel excellent ouvrage sur cette guerre et sur ses rouages. Même s’il se concentre surtout sur la France, Jean-Yves Le Naour parvient à reconstituer les pièces du puzzle et à donner une vue d’ensemble compréhensible sur cette période, à la fois si proche et si lointaine.
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D’après Wikipédia, le Canard est né en 1915, même si après une interruption il « renaît » en 1916.