L’industrie qui cache la forêt créatrice

Si la question de la création artistique et de sa place dans notre société vous intéresse, je ne peux que vous conseiller de lire Chère Aurélie, la lettre ouverte de la dessinatrice Tanxxx (texte retiré depuis de son blog). Cette lettre s’adresse à Aurélie Filipetti, ministre française de la culture, mais à mon avis, elle peut s’appliquer à beaucoup de pays et pas seulement à propos de la bande dessinée.

Elle pointe un sujet qui est à mon avis au cœur du problème: le fait que les dirigeants, lorsqu’il parlent “culture”, ne considèrent en fait le plus que la partie industrielle de la branche: les grandes maisons d’éditions, les gros tirages, les noms qui claquent.

C’est vrai que ça fait joli sur les cartons d’invitations des sauteries ministérielles (ça, c’est l’explication gentille, celle qui évite d’utiliser des gros mots comme “lobbying”, “corruption” ou “chantage à l’emploi”), mais ça limite quand même beaucoup.

C’est également à cause de la prépondérance de ce point de vue industriel dans les discours gouvernementaux que l’on a le droit au couplet sur les vilains-internautes-pirates (“pédonazis” en option) dès que l’on parle culture numérique ou partage. La doxa néo-libérale comme seul argument.

Il serait peut-être temps que Mme Filipetti et tous ses confrères et consœurs en culturitude institutionnelle se rendent compte que la culture, ce n’est pas seulement les auteurs à grand tirage, les films calibrés pour la tête du box-office et les scies semi-publicitaires qui passent en boucle à la radio.

En d’autres termes, qu’on arrête de considérer la culture d’un point de vue uniquement marchand. La culture, ce n’est pas comme la confiture.

(Photo par Andra Mihali via Flickr, sous licence Creative Commons Share-Alike.)

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8 réflexions au sujet de “L’industrie qui cache la forêt créatrice”

  1. D’un autre côté, la question de savoir si quelque chose est de l’art ou non, pour un état, implique surtout de savoir qui a droit à quelle subvention, quel avantage fiscal. Pas très étonnant que les interlocuteurs de l’état soient des grosses entités avec des intérêts financiers. Sans surprise, si on va sur le site du SNE, il parle surtout de subventions et des taux de TVA réduits…

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  2. Vu d’ici, il semble que le point de vue gouvernemental “il n’y a que les grosses sociétés qui comptent” n’est ni limité au monde de la culture, ni quelque chose de nouveau.

    Ceci dit, j’avoue ne jamais m’être réellement interrogé sur les status professionnels des auteurs de BD: merci pour le lien, ça m’a (un peut) ouvert les yeux.

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  3. On est dans le régime de l’exception culturelle. régime assez hypocrite ou d’un coté la culture n’es pas considéré comme une activité économique Mais de l’autre elle est sous la coupe de grands groupes financiers.
    L’exception culturelle qui nous permet de fermer les frontières au rock indépendant US pour ouvrir le robinet à variétoche calibrée, qui lutte contre le cinéma hollywoodien pour nous imposer des comédies daubesques et abrutissantes. Résultat des courses cette même exception culturelle serait selon Abdou Diouf, secrétaire général de l’organisation mondiale de la francophonie, responsable du déclin de la langue française dans le monde. Si on se mettait à soutenir des gens qui ont du talents. Si au lieu de produire des comédies industrielles à la chaîne notre cinéma pouvait produire des films de genre de qualité ( a oui mais le cinéma de genre est considéré comme populaire et vulgaire les bobos et pas suffisamment abrutissants pour les prolos). Bref il y a un déclin culturel dans notre pays que l’on ressent si on traine dans la France profonde.
    Et personne non plus ne veut s’attaquer au décrochage de la lecture chez les jeunes qui atteint des niveaux jamais atteint. Mais non on ne fait rien.

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  4. A vouloir mettre en taux de croissance économique et en ratio, en pourcentage et en euros, des créations de l’intellect (et je ne parle pas que de BD, de musique ou de roman), l’on est déjà totalement déconnecté de la réalité. A la limite, être un artiste ne devrait même pas être une activité professionnelle dans un tel contexte, car il est évident que ça ne marche que pour ceux qui savent séduire et enrichir les “industriels”. Hélas pour les autres, la satisfaction de s’épanouir dans la création artistique ne compense pas le manque de beurre dans les épinards au sens propre.

    La société de consommation n’est absolument pas adaptée pour faire vivre sa culture profonde et sa culture créative, et dans un élan de pessimisme qui me ressemble peu, j’ajouterai qu’elle n’est pas capable de s’y adapter. Et comme la vie d’artiste n’est pas non plus adaptée et difficilement adaptable (puisqu’il faut produire de la merde pour ça) à la société de consommation, les débats sont clos avant d’avoir commencé. C’est un dialogue de sourd de plus.

    Tous autant que nous sommes, aveuglés d’idéologies et de principes, de valeurs qui n’appartiennent qu’à nous, de bon sens, de coeur, nous ne voyons pas les institutions bâtir leur solution : abreuver la jeune génération de ce que doit être la culture de demain, l’abêtir et la soumettre à sa vision hégémonique du purin intellectuel qui la façonne.

    Jusqu’à un certain point, ce n’est pas de nos aînés pétri par le capitalisme à outrance qu’il faut espérer le moindre changement. C’est à nous d’éduquer nos enfants pour qu’ils nient et refusent cette abjecte vision d’avenir. Mais sommes-nous encore assez nombreux pour ça ?

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    • Bon, au jour de mon anniversaire, je me rends compte qu’un certain nombre de “nos aînés” sont plus jeunes que moi.

      En âge, en tous cas, parce que dans la tête, j’ai des doutes.

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