“L’Empire de l’imaginaire”, de Michael Witwer

Qui était Ernest Gary Gygax? Les rôlistes, ne répondez pas tout de suite! Bon, d’accord: un peu tout le monde sait que Gary Gygax est le créateur de Dungeons & Dragons (D&D pour les intimes) et, partant, du jeu de rôle. Mais qui était-il vraiment? C’est à cette question que tente de répondre l’ouvrage de Michael Witwer, L’Empire de l’imaginaire (Empire of Imagination en VO).

Avant de parler du bouquin en lui-même, parlons un peu de mon sujet préféré: moi. J’ai une relation quelque peu conflictuelle avec D&D. J’ai commencé avec AD&D, mais j’ai fait une sorte d’overdose de donjon – et, partant, de fantasy – à la fin des années 1980 et je n’y ai quasiment plus touché depuis (“bonjour, mon nom et Alias et je n’ai plus touché à D&D depuis 1990”).

D’un point de vue freudien, on pourrait dire que j’ai tué le père. Du coup, que faire de Gary Gygax? Qu’est-ce qui se passe si je tue le père du père? Bon, commençons d’abord par le commencement.

À l’origine, je n’avais pas vraiment prévu de lire L’Empire de l’imaginaire – et en tout cas pas en français. Mais on m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser et j’ai reçu un exemplaire en service de presse (c’était ça ou la tête de dragon de platine dans le lit et j’ai pas la place). Cette chronique est donc basée sur cet exemplaire, une version encore non corrigée.

Le livre de Michael Witwer s’intéresse donc à la vie de Gary Gygax, mais surtout jusqu’à son éviction de TSR, sa maison d’édition, en 1985. En quelque sorte, c’est plus la genèse de D&D et de TSR qui l’intéresse. L’ouvrage a ceci de particulier que l’auteur a choisi de reconstituer une partie des scènes et des dialogues pour lesquelles il n’avait pas de sources directes. Ça donne un ouvrage un aspect “docu-fiction” qui, personnellement, m’a quelque peu gêné – ça doit être mon côté historien chiant.

Pour le premier, on en apprend plus sur l’enfance de Gary – fils d’un immigrant suisse – dans la petite ville de Lake Geneva. Une enfance plus ou moins normale, faite de bagarres et d’explorations, d’expériences supposément paranormales, et de beaucoup de lectures. Notamment les romans pulp (“Que ferait Conan?” est une question qui revient souvent dans la tête de Gary).

C’est bien sûr par le wargame que Gary Gygax va en arriver à créer Chainmail, puis Dungeons & Dragons – d’abord catégorisé “jeu de fantasy” avant que le terme “jeu de rôle” ne fasse son apparition chez les premiers concurrents.

Les débuts de TSR se font dans une ambiance de bouts de ficelles et de difficultés financières récurrentes, avant que le jeu ne décolle. Les gens qui connaissent un peu les milieux de l’édition en général et de l’édition de jeu de rôle en particulier auront l’occasion, en lisant ces chapitres, de se dire que rien ne change vraiment.

Beaucoup de ces éléments étaient déjà largement décrits dans Playing at the World, un livre qui est largement cité par Michael Witwer comme référence majeure. Mais L’Empire de l’imaginaire s’intéresse plus au côté humain: l’enthousiasme du premier carré des fidèles, les relations difficiles entre Gary Gygax et Dave Arneson, sa famille (cinq enfants de son premier mariage, six en tout) qui est à la fois son refuge, mais également source de conflits avec son épouse.

Le livre dresse le portrait d’un homme créatif et passionné, mais aussi en proie à des moments d’intense dépression. Au début des années 1980, lorsque D&D aura le vent en poupe – malgré, ou peut-être à cause de la “panique satanique” de l’époque – Gary Gygax, alors à Los Angeles pour gérer les droits audiovisuels de la marque, va se comporter comme une star, avec tous les excès que ça implique. Plus dure sera la chute…

Je dois avouer que, si j’ai plutôt bien apprécié la lecture de L’Empire de l’imaginaire, quelques points m’ont un peu gêné aux entournures. Il y a des détails de forme qui, j’en ai eu la conformation par l’éditeur français, devraient disparaître avant l’impression finale. Il y a également le côté docu-fiction mentionné précédemment.

Au-delà de ces deux points, je trouve un peu dommage que l’ouvrage se concentre surtout sur la période jusqu’en 1985 et passe à grande vitesse sur les vingt dernières années de sa vie. À la lecture, j’ai eu l’impression qu’il ne s’est plus rien passé dans la vie de Gary Gygax après son départ de TSR – j’exagère, mais à peine.

Cela dit, les derniers chapitres, consacrés à l’héritage gygaxien, sont de très belle facture. Ils rappellent à quel point D&D et, par extension, le travail créatif visionnaire de Gary Gygax a pu influer la culture contemporaine. Il souligne un point que j’ai personnellement pu constater, via une citation de Tim Kask (premier employé de TSR):

Cela a donné un moyen aux asociaux de se sociabiliser.

Tim Kask

Au final, je sors de la lecture de L’Empire de l’imaginaire un petit peu frustré, d’abord parce qu’il parle de choses que je connais déjà et, d’autre part, parce qu’il en parle sous une forme que j’aurais tendance à trouver “frivole” si j’avais un brin de mauvaise foi (j’en ai beaucoup plus qu’un brin, mais pour le coup, je l’ai laissée dans son bocal au congélateur).

Un peu frustré, donc, mais globalement satisfait: j’ai appris des trucs et c’était sympa. En l’état, c’est un ouvrage qui se lit vite, avec une écriture plaisante, et qui est idéal pour ceux qui veulent en savoir plus sur celui que j’appelais “le premier des ludosaures“. Playing at the World reste mon ouvrage de référence sur le sujet, mais L’Empire de l’imaginaire est bien plus accessible.

En France, il va donc être publié par les éditions Sycko, qui lancent une prévente sur Ulule qui commence demain, 4 septembre. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas!

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