Cet article est le numéro 3 d'une série de 4 intitulée Éthiopie 2010

Quand on est un p’tit blanc qui passe son temps le cul derrière un bureau d’une organisation internationale, on ne se rend pas bien compte ce que signifie le travail de terrain. Oh, bien sûr, on voit passer les rapports et les photos – et, dans mon cas, on les met en page – mais c’est un peu tout.

Hier, notre petit groupe de communicants et assimilés est allé faire un tour sur le terrain (lien vers Google Maps). Alors bon, pour la plupart d’entre eux, qui travaillent déjà sur d’autres projets de terrain ailleurs dans l’est africain, c’est un peu la routine ; pas pour moi.

Je vous passerai toute la partie choc culturel – et choc tout court, quand on se tape sept kilomètres d’une piste qui, par moment, ressemble plus à des escaliers qu’à une route. Il y a par ailleurs quelque chose d’assez frustrant de se taper six heures de voyage pour trois heure de présence sur place.

Je crois qu’il est juste à peu près impossible de retranscrire en mots ce que peut être la confrontation entre un Occidental lambda dans mon genre, geek qui plus est, et un village dans les collines éthiopiennes, pour qui un approvisionnement en eau régulier et des latrines en dur sont une amélioration radicale des conditions de vie. Tu veux du choc culturel, Tigres Volants-style ? Tiens, mange !

J’ai remarqué également deux-trois choses assez surprenantes. Et quelque part, assez déprimantes. D’une part, c’est que ce genre d’exercice a comme point commun avec la physique quantique que la présence d’observateurs change le résultat de l’expérience. J’entends par là que notre présence a eu un effet disrupteur quantifiable. Par exemple, pendant que mes collègues discutaient avec les infirmières du dispensaire, il y avait des patients qui attendaient dehors. Vous verrez certaines des photos que j’ai prises pour juger aussi de la cohue dès que quelqu’un sort son appareil photo.

Un autre point, c’est qu’on a toujours tendance à parler des succès, mais rarement des échecs. C’est humain, mais ça a le gros défaut de faire croire que l’aide au développement, aussi bien intégrée et cogérée avec la population soit-elle, est la panacée. Il y a des fois où ça ne fonctionne pas, ou plus ; souvent, en fait. Que ce soient les autorités locales qui ne fournissent pas les budgets pour éviter que telle structure tombe en ruine, une saison trop sèche ou trop humide qui mette à mal les nouvelles récoltes ou plus simplement le destinataire du micro-crédit qui n’arrive pas à rembourser.

En écoutant les collègues des autres projets, un des gros risques de l’aide au développement est de créer une forme de dépendance : les bénéficiaires attendent l’aide et ne font rien par eux-mêmes. En règle générale, l’organisation pour laquelle je travaille essaye de mettre en place des projets qui impliquent les communautés et qui sont clairement limités dans le temps, pour éviter ce genre de choses.

En fait, tout ceci m’a rappelé un livre que j’ai lu récemment et dont je pense vous parler à l’occasion, le Petit traité de la décroissance sereine, de Serge Latouche. Un des chapitres était consacré à l’aide aux pays en développement et à l’Afrique en particulier ; il mentionnait, entre autres éléments déprimants, que la seule chance pour ce continent de se développer de façon décente et sans atomiser son écosystème serait que tout le monde commence par lui foutre une paix royale.

Je ne suis pas loin de penser qu’il a raison : certes, ça signifierait sans doute une génération ou deux à sucer des clous, mais l’alternative serait de passer dix générations à manger de la merde au milieu d’un écosystème en ruine.

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