Quand on est un p’tit blanc qui passe son temps le cul derrière un bureau d’une organisation internationale, on ne se rend pas bien compte ce que signifie le travail de terrain. Oh, bien sûr, on voit passer les rapports et les photos – et, dans mon cas, on les met en page – mais c’est un peu tout.
Hier, notre petit groupe de communicants et assimilés est allé faire un tour sur le terrain (lien vers Google Maps). Alors bon, pour la plupart d’entre eux, qui travaillent déjà sur d’autres projets de terrain ailleurs dans l’est africain, c’est un peu la routine ; pas pour moi.
Je vous passerai toute la partie choc culturel – et choc tout court, quand on se tape sept kilomètres d’une piste qui, par moment, ressemble plus à des escaliers qu’à une route. Il y a par ailleurs quelque chose d’assez frustrant de se taper six heures de voyage pour trois heure de présence sur place.
Je crois qu’il est juste à peu près impossible de retranscrire en mots ce que peut être la confrontation entre un Occidental lambda dans mon genre, geek qui plus est, et un village dans les collines éthiopiennes, pour qui un approvisionnement en eau régulier et des latrines en dur sont une amélioration radicale des conditions de vie. Tu veux du choc culturel, Tigres Volants-style ? Tiens, mange !
J’ai remarqué également deux-trois choses assez surprenantes. Et quelque part, assez déprimantes. D’une part, c’est que ce genre d’exercice a comme point commun avec la physique quantique que la présence d’observateurs change le résultat de l’expérience. J’entends par là que notre présence a eu un effet disrupteur quantifiable. Par exemple, pendant que mes collègues discutaient avec les infirmières du dispensaire, il y avait des patients qui attendaient dehors. Vous verrez certaines des photos que j’ai prises pour juger aussi de la cohue dès que quelqu’un sort son appareil photo.
Un autre point, c’est qu’on a toujours tendance à parler des succès, mais rarement des échecs. C’est humain, mais ça a le gros défaut de faire croire que l’aide au développement, aussi bien intégrée et cogérée avec la population soit-elle, est la panacée. Il y a des fois où ça ne fonctionne pas, ou plus ; souvent, en fait. Que ce soient les autorités locales qui ne fournissent pas les budgets pour éviter que telle structure tombe en ruine, une saison trop sèche ou trop humide qui mette à mal les nouvelles récoltes ou plus simplement le destinataire du micro-crédit qui n’arrive pas à rembourser.
En écoutant les collègues des autres projets, un des gros risques de l’aide au développement est de créer une forme de dépendance : les bénéficiaires attendent l’aide et ne font rien par eux-mêmes. En règle générale, l’organisation pour laquelle je travaille essaye de mettre en place des projets qui impliquent les communautés et qui sont clairement limités dans le temps, pour éviter ce genre de choses.
En fait, tout ceci m’a rappelé un livre que j’ai lu récemment et dont je pense vous parler à l’occasion, le Petit traité de la décroissance sereine, de Serge Latouche. Un des chapitres était consacré à l’aide aux pays en développement et à l’Afrique en particulier ; il mentionnait, entre autres éléments déprimants, que la seule chance pour ce continent de se développer de façon décente et sans atomiser son écosystème serait que tout le monde commence par lui foutre une paix royale.
Je ne suis pas loin de penser qu’il a raison : certes, ça signifierait sans doute une génération ou deux à sucer des clous, mais l’alternative serait de passer dix générations à manger de la merde au milieu d’un écosystème en ruine.
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11/11/2010 at 08:25
Je pense que le plan «laisser l’Afrique tranquille» aurait bien des vertus, malheureusement elle a peu de chances de se réaliser…
11/11/2010 at 13:46
Je pense aussi. La triste réalité de l’aide humanitaire est que son but de premier est de maintenir les Africains dans un état de dépendance, une forme d’esclavage économique. Et on ne parlera même pas des “grands bienfaits” amenés par la politique du FMI…
11/11/2010 at 14:19
La problématique est connue sous le nom de Néo-Colonialisme.
Personnellement j’y crois tout à fait à une échelle locale. Cependant je ne crois pas assez aux théories du Complot pour imaginer les gouvernements de la triade se mettre d’accord sur une politique globale assez efficace pour maintenir le boxon à l’échelle continentale.
11/11/2010 at 17:39
Je ne suis pas cynique au point de croire que l’aide au développement est utilisé pour maintenir ses bénéficiaires en état de dépendance. Bon, c’est clair que je prêche un peu pour ma paroisse (ha! ha!), mais je pense plus que c’est un effet pervers à plusieurs niveaux, y compris celui des organisations d’aide qui en ont besoin pour exister.
11/11/2010 at 21:13
Il me revient à l’esprit une excellente question que tu pausais cet été pendant un congrès: quelles sont les conditions d’une rencontre authentique?
12/11/2010 at 04:49
Je pense que tu fais référence à l’article De la schizophrénie des réseaux sociaux. Si c’est bien le cas, je crois que tout peut se résumer dans la deuxième Loi de Celine mentionnée dans l’article, qui dit en substance qu’une conversation authentique n’est possible qu’entre égaux.
12/11/2010 at 11:16
Je suis bien loin de ce genre de réalités, mais les écrits de Sylvie Brunel sur le sujet me paraissent éclairants, mais aussi réconfortants. Loin de la langue de bois “tout le monde il est beau”, il me semble que c’est une géographe qui a les pieds sur terre …
16/11/2010 at 14:16
Très intéressant article, notamment lorsque tu mentionnes les échecs de l’aide au pays en voie de développement. Pourtant d’en parler plus et d’y réfléchir permettrait peut-être d’apprendre à mieux la gérer.
Quant à la dépendance aux projets de développement, il n’y a pas que dans ces pays qu’apparaît ce problème: nombreux sont les personnes ou groupes de personnes qui attendent béatement des aides gouvernementales aussi dans les pays dits développés.
16/11/2010 at 14:27
On peut débattre sur le sujet, mais je pense que les personnes qui vivent sur l’assistanat ne sont pas réellement un problème.
C’est surtout une question de choix de société, qui se pose de façon beaucoup plus aiguë dans nos sociétés septentrio-occidentales: dans une société où il y a de moins en moins de travail, quel intérêt de garder cette notion au centre de l’existence humaine?
17/11/2010 at 18:33
Foutre la paix à l’Afrique est une excellente idée, l’ennui est qu’elle arrive trop tard… bon après l’idée de l’égalité de l’ensemble de l’humanité… bon ok après une première vague de décolonisation… bon ok, ok après une prise de conscience du néo-colonialisme.
Merci pour la référence livresque et le récit.
18/11/2010 at 11:34
Disons qu’à l’heure actuelle, dire de foutre la paix aux Africains, c’est un peu comme si on disait de foutre la paix aux Incas au milieu du 16e siècle.