En France, le psychodrame de la semaine, c’est la disparition de l’accent circonflexe. Ah non, pardon: ça c’était la semaine passée. Non, cette semaine, c’était plutôt le vote pour inscrire la notion d’état d’urgence dans la Constitution. Ce qui est un chouïa plus grave.

(J’aurais bien voulu titrer “le coup d’état d’urgence permanent”, mais à peu près toute la presse l’a fait avant moi.)

Je ne reviendrai pas sur l’absentéisme massif – 130 députés présents sur 577, le lundi – sinon pour dire que la prochaine fois que les politiques tenteront de faire la leçon aux électeurs (et aux Suisses) sur ce sujet, il ne faudra pas s’étonner s’ils se reprennent le boomerang dans la tronche, éventuellement accompagné d’une grenade. Et puis Edward Snowden le dit mieux que moi:

Le plus gênant, c’est le fond. Comme je le pressentais depuis un moment, le gouvernement français est en train de se dire que l’état d’urgence, c’est un peu comme carnaval – ça tombe bien, c’est de saison – à savoir l’occasion de faire un peu ce que l’on veut sans risquer des retombées. On a également pas mal de députés qui se lâchent en proposant des amendements de plus en plus absurdes.

Et donc, gentiment – façon de parler – on glisse vers une situation où l’exception devient la norme, l’urgence est le nouveau normal, jusqu’au prochain attentat. Parce que, ne rêvons pas: il y aura des nouveaux attentats. De même que les mesures lancées après les attaques contre Charlie-hebdo n’ont pas empêché les attentats du 13 novembre et de même que Vigiepirate, mis en place après l’attentat du métro Saint-Michel, n’a pas empêché grand-chose depuis vingt ans.

(D’ailleurs, il faudrait quand même un jour que quelqu’un s’attache au bilan de cette vaste fumisterie qu’est Vigiepirate. De ce que j’en ai lu, non seulement c’est inefficace, mais c’est en plus contre-productif, en mobilisant des effectifs qui pourraient être plus utiles ailleurs. J’ai peut-être tort sur ce point, mais en ce cas, j’aimerais bien voir des faits pour me le prouver.)

Vu d’ici, on a donc un gouvernement qui pérennise un statut d’exception, prévu pour être temporaire, et qui a déjà donné lieu a une kyrielle de bavures policières et administratives. En théorie, ce n’est que pour quelques semaines ou quelques mois, mais vous pouvez compter qu’il y aura toujours un événement bien médiatique – rencontre sportive, élection, etc. – qui justifiera la prolongation.

Et qui, tout en mettant en place, en loucedé, des mesures qui ont un impact discret, mais réel sur la vie privée, balance des propositions spectaculaires, symboliques et complètement inefficaces. Exemple: la déchéance de nationalité. Pour un peu, on proposerait de rétablir la peine de mort pour les kamikazes.

Et, toujours, la rhétorique creuse de la “défense des valeurs” (mais, visiblement, plus des Droits de la personne), du terrorisme et la vraie-fausse guerre contre un ennemi qui ne demande que ça. On en est là.

(Photo par Thierry Ehrmann via Flickr sous licence Creative Commons.)

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