Cory Doctorow, est un auteur canadien de science-fiction, mais également un activiste, très engagé dans les luttes pour les libertés sur Internet. How to Destroy Surveillance Capitalism est le titre de son dernier essai, un – relativement – court texte qui s’attaque aux GAFAM.
Pour ceux qui l’ignorent encore, la GAFAM, c’est Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – et derrière eux, toutes les autres compagnies qui sont devenues ubiquitaires et incontournables. Doctorow regroupe le secteur sous le terme « Big Tech ».
L’expression « capitalisme de surveillance » du titre vient de l’ouvrage de Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism (qui existe en français). Mais si Doctorow s’en sert comme point de départ, il en conteste aussi pas mal des conclusions, notamment sur le fait que c’est particulier au secteur Big Tech.
En effet, pour lui, le cœur du problème, c’est que les entreprises de Big Tech sont dans une situation de monopole. Et qu’ils se servent de cette position pour étouffer dans l’œuf tout ce qui pourrait ressembler à de la compétition, au point où personne aujourd’hui ne songe sérieusement à concurrencer Google ou Facebook.
Mais, dans un premier temps, How to Destroy Surveillance Capitalism va s’efforcer de démonter un certain nombre de mythes autour de Big Tech. Notamment le fait que, non, Facebook ne peut pas lire dans notre tête – et ne le pourra sans doute jamais, même en accumulant toutes les données possibles. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.
Le souci, c’est que Big Tech a tendance à croire en ses propres mensonges. À commencer par celui, vendu aux annonceurs, de pouvoir cibler très précisément les gens. Parce que, non, ça ne fonctionne pas, ou alors très marginalement et sur un laps de temps très court. Après, les utilisateurs s’adaptent.
La seule chose qui fonctionne, ce sont les trucs qui provoquent des réactions viscérales, le plus souvent négatives. Ainsi, si vous voyez régulièrement popper sur vos murs et recommandations des messages qui sont complètement à l’encontre de vos convictions, dites-vous bien que c’est voulu: c’est pour vous faire réagir. La haine fait vendre (c’est probablement une des Lois de l’Acquisition ferengi).
Mais le fait que Big Tech croit pouvoir nous influencer signifie que le secteur cherche à obtenir de plus en plus de données sur nous. Le souci, c’est que c’est un secteur qui est aussi bon à aspirer les données qu’il est mauvais à les garder en sécurité. Le gros souci, c’est qu’à ce stade, les « fuites » de données peuvent avoir des conséquences globales et catastrophiques.
Il y a aussi d’autres effets de bord, comme de la censure subtile sur certains sujets « sensibles » (comprendre: qui font peur aux annonceurs et investisseurs). How to Destroy Surveillance Capitalism parle aussi de l’impact que ce pompage de données a sur les activistes.
En théorie, il y a des lois. Enfin, il devrait y avoir des lois et elles devraient être appliquées. C’est là qu’on en revient au problème des monopoles. Le souci majeur des monopoles, c’est qu’ils peuvent faire les prix qu’ils veulent.
Ce qui signifie qu’ils ont des marges colossales et des montagnes de pognon dont ils se servent 1) pour rémunérer leurs actionnaires de façon démesurée, 2) acquérir d’éventuels compétiteurs, quitte à les laisser crever (voir plus haut), 3) à faire du lobbying massif.
Il existe aux USA une loi anti-trusts, mais depuis les années Reagan, elle a complètement été vidée de sa substance. Et, dans le même temps, toutes les administrations chargées de surveiller les entreprises ont été démantelées. Et le peu qui reste est souvent sous la coupe de lobbies.
La conclusion de Cory Doctorow est donc qu’il faut renforcer considérablement les lois anti-monopoles et de les utiliser contre Big Tech pour « casser » les concentrations horizontales et verticales. Des entreprises plus petites, en compétition les unes avec les autres, auront moins d’influence sur la politique et qui ramasseront moins de données privées.
Je dois avouer que Cory Doctorow est souvent plus convaincant en essayiste qu’en romancier. C’est encore le cas dans cet ouvrage: How to Destroy Surveillance Capitalism est un ouvrage plutôt clair, servi par une écriture nerveuse, des chapitres plutôt courts et des exemples parlants. Il n’est pas exempt de redites, mais c’est assez mineur.
C’est aussi un ouvrage très américano-centré. Ce qui est compréhensible, vu que Cory Doctorow est résident américain. Du coup, une grosse partie des solutions qu’il propose n’est pas très applicable depuis l’Europe.
Je dirais que son défaut principal est, ironiquement, le même que celui qu’il prête au livre de Shoshana Zuboff: il ne va pas assez loin.
J’ai l’impression que la vraie conclusion du bazar, c’est que le capitalisme est en soi un problème majeur et que toute tentative d’en réformer les aspects les plus extrêmes ne fait que reculer le problème. J’aimerais bien croire en des solutions raisonnées, mais j’ai peut-être passé l’âge.
Cela dit, il a un intérêt non négligeable, d’une part pour comprendre comment fonctionne Big Tech en général et Facebook en particulier, et d’autre part pour saisir pourquoi il est important de ne pas laisser ce secteur continuer à grandir sans contrôle.
Vous pouvez lire How to Destroy Surveillance Capitalism en anglais, « gratuitement », sur Medium. Il en existe également une traduction française réalisée par Framalang. Sinon, le livre est disponible à petit prix sur le site de Cory Doctorow (et ailleurs).
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