Dans les débats Àlakon(tm) qui reviennent régulièrement sur les réseaux rôlistico-sociaux, il y a la question de la “théorie rôliste”, que j’appelle aussi jeuderôlogie. Avec, comme souvent, les écharpages entre “c’est de la branlette intellectuelle” et “on ne peut pas se dire auteur si on n’y connaît rien en théorie rôliste”.
À ce dernier point, ma réponse a été claire: si tu crées un jeu de rôle, tu es auteur de jeu de rôle, point.
(En plus, je ne vois pas en quoi le terme “branlette intellectuelle” peut être péjoratif, mais passons.)
Plus généralement, je m’inquiète quelque peu de ces deux tendances, en apparence opposées, mais qui se rejoignent dangereusement sur leurs bords: l’élitisme et l’anti-élitisme. La première tend à dire que, pour pouvoir être considéré comme créateur, il faut maîtriser les codes de son art et l’autre qui prétend que toute cette théorie est de la prise de tête inutile.
Vous noterez qu’entre les deux tendances, il y a une assez vaste gamme de possibilités, à commencer par “est créateur celui qui crée, après on discute”.
Oui, connaître la théorie des choses intéressant, voire important, mais ce n’est en rien obligatoire. Pour le cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la création est un milieu où on trouve tout aussi facilement des autodidactes géniaux et des théoriciens qui font de la merde.
Au reste, si c’est quelque chose qui est fréquent dans le jeu de rôle, on retrouve également cette tendance dans beaucoup de métiers créatifs – écriture, dessin, informatique, musique. On retrouve également cela dans la politique et la société, d’ailleurs, entre les tenants du “bon sens” et les technocrates qui n’ont pas fait normale sup’ et l’ENA pour être emmerdés par des cols bleus.
Dans ce débat, j’ai tendance une fois de plus à faire mon Suisse et à dire “ni l’un, ni l’autre, bien au contraire”. En règle générale, j’ai tendance à donner raison à ceux qui font sans savoir plutôt qu’à ceux qui savent, mais ne font rien.
Cela dit, il y a beaucoup de domaines dans lesquels on ne peut pas se contenter de bricoler des trucs à l’empirique, sous peine de ne pas aller très loin. D’un autre côté, je n’ai aucun respect pour les experts qui se complaisent dans leur expertise et ne font aucun effort pour transmettre leurs connaissances de façon intelligible pour quelqu’un qui n’a pas de doctorat.
Pour en revenir au jeu de rôle, j’aime bien la théorie rôliste et je pense que ça peut apporter quelque chose au développement de jeux innovateurs. Le hasard a d’ailleurs voulu que quelqu’un me demande récemment si j’avais écrit des articles sur le sujet. La réponse est non – ou alors par accident.
Mais je me suis clairement inspirés de développement récents, eux-mêmes inspirés par cette fameuse théorie rôliste, pour certaines des mécaniques et des idées présentes dans les versions les plus récentes d’Erdorin (auxquelles je n’ai pas touché depuis un an, pour cause d’autre projet en cours).
Au final, la théorie, c’est un outil pour aller plus loin dans un domaine; ça ne devrait pas être une barrière à la création, mais ça devrait être une passerelle vers d’autres contrées. Pas forcément toujours très praticable, mais très gratifiant quand on est arrivé de l’autre côté.
(Image: “Le Bal Paré”, broderie d’Antoine-Jean Duclos, via Wikimedia Commons, domaine public.)
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Je suis passé à côté de ce débat sans y entrer. Mon point de vue est assez similaire au tien du reste. Je ne fais pas de théorie, mais il m’arrive de m’en servir. Je suis un auteur plutôt instinctif dans mes démarches et ce qui se dit sur la ou les façons de faire me permet davantage de me situer dans le marasme des créateurs (notamment en me rendant compte que sans le faire exprès, j’applique des choses théoriques connues et d’autres complètement nouvelles et peut-être tartes) que de me guider dans mes travaux.
Ca me rappelle un peu le coup des athées intégristes.
J’ai l’impression que c’est toujours le même débat, mais avec un niveau de méta en plus. À l’origine [mélodie de Benjamin Biolay] on discutait de systèmes de jeux. Puis on a discuté de méta-systèmes, puis c’était le style au dessus du méta-système, narrativisme vs simulation, j’ai l’impression que la jeuderôlogie est un niveau de méta-plus haut, mais j’ai peut-être raté un niveau, je n’ai pas été très attentif…
M’occupant d’un site qui contient à la fois des articles très théoriques et des articles très pratiques, je trouve que il existe toute une gamme de rôlistes, depuis celui qui dénonce la théorie à celui qui ne fait plus que cela et produit des thèses (comme les deux Finlandais que j’ai rencontré : “moi je pense que l’on oublie la réalité une micro-seconde”, a fait l’un. “moi je pense que l’on CROIT que l’on oublie la réalité”), ou encore http://ptgptb.fr/l-immersion-inexpliquee
C’est parfois énervant pour ceux qui s’amusent à prendre de la hauteur.
Mais ce que j’ai observé, c’est que il n’y a pas forcément de disputes à avoir : grâce à Internet, on peut se retrouver entre-soi, et personne ne peut être obligé de rejoindre un groupe de gens qui ne pensent pas comme lui, ni être obligé de lire des pages et des pages d’articles qui le barbent… Internet est vaste, et on est pas forcé de tout lire! 🙂