J’avais à l’origine un autre billet prévu pour ce vendredi, mais l’article de Ploum Nous sommes tous d’extrême droite… a éveillé en moi une furieuse envie de réponse, dans la lignée de mon précédent diptyque sur l’homophobie et le sexisme.

Il a raison sur un point: diaboliser l’extrême-droite (ou la droite nationaliste, ou la droite forte, quel que soit le nom qu’on veuille lui donner – à part “fascisme”, qui recoupe une autre réalité) est probablement une aussi mauvaise idée que traiter cette tendance politique par-dessus la jambe.

Cela dit, il y a un élément que je perçois dans les idées de ce mouvement et que je n’ai pas vu traité dans son article. Je le résumerais ainsi: l’extrême-droite est une tendance politique qui transforme la peur en haine. Pour être plus précis, sa force est de cristalliser tout ce que la société conservatrice compte comme crainte ou angoisse et d’en faire une force, mais une force d’opposition, souvent violente.

Du coup, dès qu’un sentiment d’insécurité devient dominant dans une société, l’extrême-droite croît. Cela peut être une insécurité liée à la situation internationale, économique, à la criminalité, à une crise identitaire plus profonde. Pas de bol, ces temps-ci, on a un peu droit à tout ça à la fois et c’est sur ce terreau que poussent les idées d’extrême-droite.

Regardez les programmes des partis de cette tendance: plus que tout autre, ils reposent sur la colère et la simplicité. La colère (“Marre!”, “Ça suffit!”), pour répondre à l’angoisse et la simplicité comme antidote à un monde devenu trop complexe pour être immédiatement compréhensible. C’est un petit peu comme les logiciels avec une interface simplifiée, pour les noobs, mais sans l’accès aux fonctions plus puissantes (il faut sans doute avoir les droits d’admin).

À la simplicité de l’argumentation s’ajoute un propos pétri d’absolu et de certitudes, ainsi qu’un narratif à toute épreuve. Tous les mouvements politiques utilisent le storytelling, la narration plutôt que l’argumentation factuelle; c’est de bonne guerre: on leur demande aussi de nous “vendre” leur vision de la société. Le narratif des mouvements d’extrême-droite est souvent très éloigné de la réalité, impliquant le retour à un Âge d’Or mythique.

Alors on simplifie, le plus souvent en utilisant un adversaire, un bouc émissaire: l’Autre, celui qui n’est Pas Comme Nous. Qu’on ne s’y trompe pas: c’est une adversité qui naît de la peur, pas – enfin, plus (à part chez quelques rebuts des années brunes) – d’un quelconque sentiment de supériorité. On ne connaît pas l’Autre; il est différent, s’habille différemment, mange différemment, pense différemment. C’est facile de tout lui mettre sur le dos.

L’intérêt de la peur, pour un parti politique, c’est que c’est un sentiment primaire qui touche tout le monde, surtout des gens qui pensent avoir tout à perdre. Contrairement à des idéaux tels que l’espoir ou la justice, qui inquiète toujours quelques-uns. Au reste, il ne faut pas s’y tromper: l’extrême-droite n’est pas une doctrine révolutionnaire, mais ultra-conservatrice. Elle ne fera avancer aucun droit humain – à part peut-être si on considère que posséder des armes et les utiliser contre des fâcheux est un droit humain.

Pour moi, l’extrême-droite, c’est cela: une idéologie conservatrice, qui transforme la peur de l’Autre en haine par un discours simple et musclé, fait d’affirmations péremptoires enrobées de narration identitaire basée sur des mythes. Ce qui d’ailleurs, en y repensant, constitue une affirmation péremptoire et simpliste…

Suis-je d’extrême-droite, donc? Non, mais c’est très facile de le devenir. Il suffit de céder à la tentation du repli, du confort, de la simplicité. C’est d’ailleurs la même tentation qu’avec l’homophobie ou le sexisme, d’ailleurs: c’est l’idée qu’on a des privilèges, que ces privilèges sont menacés par l’Autre, celui qui nous ressemble, mais qui n’est pas comme nous.

À tout prendre, je préfère vivre dans un monde complexe, que je ne comprends pas tout à fait, plutôt que dans un univers-bisounours inventé par de mauvais auteurs de dystopie, quitte à passer pour un hypocrite (ne serait-ce que parce que je suis moi-même un mauvais auteur de dystopie).

(Image via Wikimédia Commons, domaine public.)

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