Comme ça fait deux semaines que je vous bassine avec des chroniques sur les groupes qui y seront présents, vous n’ignorez sans doute pas que, ce vendredi, j’ai repris la route du KIFF d’Aarau pour un mini-festival baptisé « Prog Frog », avec pas moins de six groupes, dont Plini et Haken en tête d’affiche.
À l’origine, il était censé n’y avoir que la tournée Haken (avec The Algorithm et Next to None), mais pour des raisons mal définies, celle de Plini (avec Disperse et David Maxim Micic) est venue se greffer dessus. Pas que je me plaigne, notez bien: ça fait six groupes dont le plus mauvais, à l’aune de ce que j’ai écouté, est juste plutôt cool
Il y a cependant des effets secondaires. Le principal est que cette abondance a pour conséquence de faire commencer la soirée à 18 h. La bonne nouvelle, c’est que c’est vendredi et donc y’a congé demain, mais ça implique tout de même de prendre l’après-midi et de filer à la gare dès midi pour arriver à prendre un train à temps. Genève-Aarau, c’est deux heures et demie de train.
(Surtout que, dans la grande tradition aliasienne, j’avais dans un premier temps lu 16 h. Ça me paraissait un peu bizarre, aussi, mais je me disais que gérer six groupes, ça impliquait quelques choix draconiens.)
Je ne sais pas pour vous, mais moi je me suis dit que l’affiche en valait la peine. À vrai dire, même pour Haken seul, je pense que je me serais déplacé. Et comme en plus les gens du KIFF sont sympa, c’est avec le passe photo en poche que je m’embarque.
En regardant l’ordre de passage, je me demande s’il n’a pas été déterminé à l’ancienneté, puisque ce sont les p’tits jeunes de Next to None qui ouvrent le bal. Enfin, la soirée. Premier constat: ils sont vraiment jeunes. Au reste, c’est la soirée jeune; à mon avis, Haken sont les plus vieux et les musiciens ont à peine quarante ans.
Deuxième constat: si j’ai des réserves quant à leur musique, il faut avouer que sur scène, ça dépote bien! Thomas Cuce, à la voix et aux claviers, se démène comme un beau diable, sautant par deux fois au milieu du public – qui est encore un peu clairsemé en ce début de soirée, mais qui manifeste bruyamment son enthousiasme. On remarque également Max Portnoy, qui s’évertue à détruire – sans succès – la batterie obligeamment prêté par The Algorithm.
Une chose va changer et l’autre non: d’une part, la salle va se remplir assez vite et, d’autre part, le public va continuer, tout au long de la soirée, à être enthousiaste. Next to None reste sur scène pendant environ une demi-heure, le temps de jouer trois pistes de leur premier album et une quatrième d’un nouvel opus à venir. Prestation très enthousiaste et énergique; une bonne première partie, somme toute.
Quand David Maxim Micic monte sur scène, avec sa veste à capuche médiévalisante, l’heure est au contraste: exit les p’tits jeunes excités, place aux trentenaires posés et à un numéro d’équilibriste musical très convaincant, entre métal progressif, mélodies finement ciselées et ambiances aériennes.
Sur scène, « Daaaaavid » – comme le dit son badge – semble se déplacer comme sur un nuage. Il n’est accompagné que d’un bassiste – qu’on reverra plus tard – et d’un deuxième guitariste, leur batteur ayant dû renoncer au concert pour cause d’urgence familiale. « Avec Steve Jobs à la batterie », plaisante David, ce qui fait un petit peu ghost in the machine…
Quant à la prestation du « trio augmenté », elle a certes ce côté agaçant qu’on ne voit pas sur scène tous les instruments qu’on entend, mais c’est également une petite merveille de technicité et de sensibilité. La plupart des morceaux sont là encore du dernier album, Who Bit the Moon, mais avec une exception de taille: un extrait de « Daydreamers », de Bilo 3.0, avec Vladimir Lalic au chant en invité. Retenez ce nom.
Disperse est également un groupe sur lequel j’avais quelques hésitations, après avoir écouté leur album Foreword. Il faut là encore avouer que leur prestation live a quelque peu remis les pendules au milieu du village, comme on dit. La musique des Polonais a une très belle énergie et une intensité que la scène transcende de très belle manière.
Certes, ça reste un peu statique au niveau du jeu de scène, mais leur néo-prog contemporain, assorti de sonorités pop, est enrichi par une interprétation plus agressive que sur l’album. Pour tout dire, j’ai eu parfois l’impression d’entendre du TesseracT – et les bouts chouettes de TesseracT, en plus.
Chose amusante: on retrouve dans la formation le guitariste qui officiait précédemment avec David Maxim Micic.
Après l’enthousiasme soulevé par son album, Brute Force, j’attendais beaucoup de The Algorithm. Sans doute trop, surtout quand on prend en compte que, sur scène, on a un duo, avec Rémi Gallégo à la guitare et Jean Ferry à la batterie. Je vais être clair: je préfère de beaucoup la version en album.
Cela dit, sur scène, The Algorithm se livre sans compter, C’est un set bref, certes, mais ultra-énergique. La batterie live, ça change quand même beaucoup les choses. Et je pense également que ma position, tout devant et un peu en coin, n’était pas idéale pour profiter à fond de la musique. C’est un peu dommage, parce que de la même position, les autres concerts passaient très bien – sans doute grâce aux retours de scène, mais là non.
On arrive aux deux têtes d’affiche de la soirée, à commencer par Haken, en tournée spéciale pour le dixième anniversaire du groupe. C’est juste la troisième fois que je les voyais, je pensais donc savoir à quoi m’attendre. Grave erreur! Les deux fois précédentes, c’était dans le cadre du Night of the Prog, en 2011 et 2015: un grand amphithéâtre en plein air, au début de l’après-midi. Ici, on est dans une – relativement – petite salle, à 22 h, et il y a six personnes sur scène.
Autre différence, Ross Jennings étant absent sur cette date, c’est Vladimir Lalic – je vous avais dit de vous en souvenir – qui déboule sur scène. Et j’aime autant vous dire que, comme remplaçant, c’est du premier choix. Non seulement, il a une voix exceptionnelle, qui rappelle celle de Devin Townsend, mais en plus il est comme habité par les chansons de Haken, à fond dedans.
Et, de ce point de vue, c’est un festival, avec des extraits des quatre albums du groupe, notamment un « Cockroach King » d’anthologie, avec son fabuleux canon décalé, « Initiate » et « The Architect », avec Richard Cuce qui vient growler sur scène en invité-surprise. Bref, si vous n’avez pas vu Haken dans une salle, vous n’avez pas vu Haken: le groupe explose en une débauche d’énergie maîtrisée, c’est juste bluffant. J’en suis au point de ne même pas leur en vouloir de n’avoir pas joué « 1985 ».
Du coup, quand c’est au tour de Plini de monter sur scène pour conclure ce mini-festival, on a l’impression de redescendre un peu. Et puis, après cinq groupes – plus deux heures de train, plus une demi-journée de boulot – la fatigue commence à jouer. Du coup, j’avoue avoir vu le set du guitariste australien plus en spectateur, accoudé au bar.
C’est un peu dommage, parce que placé avant Haken – peut-être même avant The Algorithm – Plini aurait eu une meilleure place pour déployer son rock instrumental pétillant et ses acrobaties guitaristiques. On retrouve d’ailleurs sur scène le bassiste qui avait officié précédemment avec David Maxim Micic.
D’autant que, fidèle au stéréotype de l’australien cool, il n’a pas eu beaucoup de mal à mettre un public toujours aussi nombreux dans sa poche, notamment en blaguant sur le fait que « oui, normalement il y a un rappel, mais vous savez comment ça fonctionne alors même si c’est super cool pour nous de vous faire attendre en hurlant, on ne va pas vous faire perdre votre temps et on va vous le jouer direct ».
Il faut aussi dire que, ne connaissant que le dernier album en date, Handmade Cities, je manquais quelque peu de référentiel pour apprécier les autres morceaux joués, qui m’ont paru d’ailleurs moins énergiques. Fort heureusement, si je n’étais probablement pas le seul dans ce cas, la plus grande part du public avait répondu présent et lui a réservé l’accueil qu’il méritait.
Déjà que les concerts de prog ne sont pas si courants en Suisse – si l’on excepte le Z-7, qui est franchement trop loin pour moi – les mini-festivals de ce calibre sont une rareté. Il fait donc saluer l’initiative du KIFF pour avoir organisé ce « Prog Frog », même si ça semble s’être fait sur un coup de hasard.
Je suis surtout content de voir que, pour ces groupes qui représentent la relève du rock progressif, le public se soit déplacé aussi nombreux. Je n’ai pas les chiffres officiels, mais je suis prêt à parier que si le KIFF n’a pas fait salle comble, ça n’était pas loin. Pour une fois, je n’ai pas eu l’impression d’être le plus jeune de la salle et ça aussi c’est enthousiasmant: la relève est également là, dans le public.
En plus, les groupes semble avoir profité de cet événement commun pour tenter des collaborations plus ou moins improvisées. On a régulièrement vu des musiciens passer d’un groupe à l’autre, ce qui m’a donné une impression de convivialité et de cohérence, chose à laquelle je suis très sensible. Après tout, la musique en général et le prog en particulier, c’est fait pour raconter des histoires.
TL;DR, je suis super content de cette soirée. Le moins bon était juste bon et le meilleur exceptionnel. Même si ce n’est pas Pratteln, Aarau reste une destination lointaine – avec train et hôtel – mais pour une programmation de ce calibre, ça valait franchement le coup.
Mes photos sont sur Flickr, toujours sous licence Creative Commons. J’ai respecté à la lettre la consigne « trois morceaux sans flash », ce qui du coup m’a permis de profiter plus des concerts proprement dits, mais sur certains groupes, ce fut un peu difficile d’obtenir des clichés potables.
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