Cette réflexion est née de l’article Le féminisme, par Psychée, en quelques mots – enfin, un peu plus que “quelques” – , mais elle n’a pas de rapport direct avec le féminisme. C’est juste que sa lecture a déclenché chez moi une réflexion sur le thème “fier de” que je rumine déjà depuis un bon moment.
Vous avez, je pense, déjà vu passer le slogan, en anglais, qui dit en substance que le nationalisme consiste à être fier de trucs qu’on n’a pas fait et à haïr des gens qu’on ne connaît pas. J’ai l’impression que le cœur du problème avec beaucoup des comportements de connards, dont je parlais il y a peu, vient de ce que des gens se sentent fiers de choses sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Ou, plutôt, qu’on leur “vend” cette fierté comme un privilège qui leur est dû.
À de rares exceptions près, on ne choisit pas son sexe biologique ou son genre, son orientation sexuelle, sa couleur de peau, son origine sociale ou sa nationalité. Pourtant, des gens pensent qu’il est important d’être fier de cet état de fait.
C’est vendeur, la fierté. On a tous besoin de se sentir fiers; perso, je ne vous dis pas comment je kiffe dans une des mes conneries rézosocialoïdes ou bloguesque est repartagée et commentée. J’essaye d’être fier des trucs que je fais; je peux aussi être abominablement critique dessus et faire mon geek à coups d’hyperboles auto-dénigrantes, mais la vérité est qu’il y a assez peu de choses que j’ai créées dont je ne sois pas fier, précisément parce que je les ai créées.
Seulement voilà: la création, ça demande du boulot. Ou, à tout le moins, une forme d’effort. Et l’effort, c’est fatiguant, D’où l’idée de vendre de la fierté d’être, qui ne fatigue pas, plutôt que de la fierté de faire. Du coup, c’est plus facile d’être fier: c’est même un dû. Ce qui, à mon avis, est du caca de taureau.
OK, je modérerais mon propos: la fierté d’être, mise en avant comme un orgueil, c’est du caca de taureau; si on se réfère à la définition première de “fierté”, c’est-à-dire dignité et amour-propre, OK. Mais dans ce cas, c’est une fierté intériorisée. Autant la fierté, comme affirmation de soi, est un outil de libération, autant son pendant orgueilleux est un repli sur soi, un refus de l’autre.
Néanmoins, on a de plus de plus de guignols qui nous vendent le fait d’être né quelque part comme la fierté ultime de la destinée ultime, qui jouent à dessein de l’ambiguïté entre les deux définitions du mot “fierté” sur la frontière floue entre “j’aime mon pays” et “mort aux autres”. J’ai déjà dit à quel point je me méfie du patriotisme, précisément parce que c’est une notion qui est trop facilement dévoyée.
Il y a probablement une relation de cause à effet entre un monde de plus en plus globalisé et un repli identitaire. Ce qui est gênant, c’est que la globalisation, telle que nous la vivons, demande une vision et une gouvernance globale, qui a de moins en moins de chance d’arriver si toute la planète décide de jouer perso.
De même que le patriotisme, les explosifs et les Imperial Stouts qui titrent à 16.2°, je pars du principe que la fierté est un concept qu’il faut manipuler avec précaution, car susceptible d’exploser la tronche des imprudents et de faire de méchants dommages collatéraux. Et, de préférence, soyez fiers de ce que vous faites, pas de ce que vous êtes!
(Photo via Pixbay, sous licence CC0)
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J’ai passé la lecture du billet à me dire que je n’étais pas spécialement d’accord avec toi sur un point précis, mais finalement ta conclusion fait tout le travail : la fierté est à manipuler avec précaution. Parce que bien que j’abonde en ton sens pour ce qui est du patriotisme, le premier contexte qui s’est matérialisé dans ma tête en te lisant est la fierté qu’on retrouve dans « marche des fiertés ». La fierté de personnes victimes d’oppression, qui choisissent de hurler leur fierté d’être ce qu’on leur reproche, ce qui n’a strictement rien à voir avec la fierté d’avoir telle nationalité, utilisée comme un bouclier identitaire réac. Cette fierté-là, la première, est un moyen de défense et de survie, une façon de dire « hé, vous nous traitez comme des monstres, mais on tient à montrer à tou·te·s qu’on est bien là, qu’on est des personnes et qu’on se laissera pas faire »
Oui, c’est la différence entre la fierté/amour-propre (qui est en fait la première définition) et la fierté/orgueil (qui est devenue la définition la plus courante).
Bien d’accord. C’est un peu évident en fait, mais il y a des choses qui vont mieux en le disant. Surtout que les évidences” n’ont pas l’air partagées tant que ça par grand monde, ces temps ci. Où alors des “évidences” dont on se passerait bien.
Common sense isn’t. 😉
Je totally agree tout à la fois.
Merci.
Et, il me semble, bienvenue sur mon blog!
Je crois que le concept “fier de” a été initialement mis en avant pour aider ceux qui avait “honte de” . Utilisé en tant qu’outil pour permettre à certains de se sentir mieux dans leur peau, la fierté devient une valeur positive.
Mais je suis d’accord avec le reste de ton billet. Actuellement, le terme de “fierté” est galvaudé et détourné pour signifier “meilleur que”, avec tous les abus que cela comporte.
Merci et welcome back!
Mise au point nécessaire, effectivement et qui me fait dire qu’icezine ne va peut-être pas vraiment mourir dans deux semaines…
Si mon article aura au moins pu servir à ça, il aura été utile. 😉