Pour célébrer le vingtième anniversaire de la Commune de New York, en 2072, deux archivistes, Eman Abdelhadi et M.E. O’Brien se lancent dans une série d’entretiens, partiellement retranscrits ici sous le titre Everything For Everyone: An Oral History of the New York Commune, 2052-2072.
Si, par un hasard incroyable, mon blog survit jusque là, précisons que j’écris bien ce billet au printemps 2025 et qu’il s’agit donc d’un ouvrage de science-fiction. Mais ce livre se présente sous la forme d’un travail « académique » (je mets des guillemets parce que c’est une notion qui n’a plus vraiment cours à l’époque où il est censé avoir été écrit), une « histoire orale » des événements qui ont conduit à la refondation du monde sous une forme collectiviste et hyperlocale.
Le monde de Everything for Everyone présente peut-être un présent utopique, mais il se construit sur les cendres encore brûlantes (et parfois radioactives) d’un monde qui s’est autodétruit: crise écologique combinée à une crise économique, amplifiée par une guerre absurde des USA contre l’Iran, le tout menant à une guerre civile confuse, une pandémie meurtrière et des déplacements de population massifs. Les décennies qui précèdent la création des Communes sont extrêmement violentes et les premières années également.
Et la force de la narration, c’est de montrer les différentes facettes de cette histoire – qui va bien au-delà des vingt ans de la Commune de New York – à travers les yeux de divers narrateurs. Tout ceci donne à cette histoire (fictive, donc) un réalisme, une touche personnelle qui la rend particulièrement crédible. Ce ne sont pas des personnes exceptionnelles qui parlent, mais des gens normaux de l’époque, avec leurs craintes, leurs traumas, leurs forces et leurs espoirs. Et, parmi ces narrateurs – qui sont souvent des narratrices, d’ailleurs, on trouve les deux archivistes elles-mêmes.
Il y a dans Everything for Everyone quelques passages très amusants, comme la prise d’un marché réservé aux nantis, racontée par une travailleuse du sexe qui en devient la gérante et, par la même, transforme le quartier en une des premières Communes de New York, ou le sort réservé aux oligarques dans leurs refuges orbitaux (« Bonjour, on a capturé toute votre infrastructure terrestre et on n’enverra plus de ravitaillement, bisous! »). Mais le plus souvent, ce sont des passages poignants, comme un vétéran en plein flashback post-traumatique, qui croit revoir sa sœur morte et raconte son combat contre les milices fascistes.
La narration reste très centrée sur les USA – enfin, ce qui était autrefois les USA – mais explore également d’autres lieux, comme le Proche-Orient ou la Chine. À noter d’ailleurs que la révolution décrite dans les pages de l’ouvrage ne trouve pas son origine en Amérique du Nord, mais au Xinjiang et dans les Andes. Et parmi la myriade d’aspects très intéressants, elle aborde également la question du transhumanisme sous un angle peu courant. Elle pose le fait que la mise à bas des structures capitalistes et des États-nations a pour conséquence (parmi beaucoup d’autres) un abandon par les jeunes générations des notions traditionnelles de genre, avec près de 40% des adolescents ne se définissant plus comme cisgenres.
On pourrait classer Everything for Everyone dans la catégorie hopepunk ou, si on est moins gentil, « rêve humide de gauchiste » (pour reprendre une expression de mon épouse). Ça se défend, mais pour ma part (de gauchiste), je trouve qu’il apporte un côté très crédible, humain. Ce n’est pas non plus un avenir radieux qui tombe tout cuit, c’est le résultat de luttes radicales portées par des mutations profondes de la civilisation humaine. Son style, en grande partie composé d’entretiens, le rend plutôt digeste – même si son introduction, très dense, m’a un temps fait craindre le pire.
Tout ceci fait de cet ouvrage un titre hautement recommandable pour les amateurs de science-fiction politique. Mes remerciements vont à l’ami Cédric, du blog Reflets de mes lectures (et habitué des Mercredis de la SF de Genève) pour la recommandation. À noter que si Everything for Everyone est disponible en anglais sous licence Creative Commons (CC-BY-NC-SA), sa version française, Tout pour tout le monde (aux éditions Argyll), ne semble pas l’être, ce qui me chiffonne un peu.
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02/04/2025 at 13:10
@blogapart Traduit en français par @camilleleboulanger
https://www.babelio.com/livres/OBrien-Tout-pour-tout-le-monde–Une-histoire-orale-de-la/1620076
02/04/2025 at 14:30
Oui, effectivement et je l’ai mentionné dans l’article. Mais la traduction française n’est pas en Creative Commons, c’est ça qui me chiffonne. Logiquement, ça devrait (vu que la licence originale est en share-alike), à moins que l’édition française n’ait fait l’objet d’un accord de licence hors CC.
02/04/2025 at 14:38
@blogapart Camille ? @camilleleboulanger
02/04/2025 at 14:39
@blogapart Il faut être un peu au courant des réalités de l’édition française pour comprendre je pense.
02/04/2025 at 14:42
Des ME françaises qui publient sous Creative Commons, il y en a (je pense notamment à PVH, même si c’est franco-suisse). Après, comme je le dis, ce n’est pas impossible qu’il y ait eu un accord hors CC entre Argyll et Common Notion (la ME américaine).
02/04/2025 at 17:48
@blogapart la ME étasunienne ne qualifie pas le texte comme étant sous CC-SA sur la page du livre. Est-ce qu'il y aurait une version autoeditee par les auteurices sous CC ?
02/04/2025 at 17:54
Ce n’est pas indiqué sur leur site web, mais c’est dans l’impressum de la version que j’ai et je l’ai trouvé sur Internet Archives (le lien est d’ailleurs dans l’article).
02/04/2025 at 18:42
@blogapart oui, j'aitenu compte de cette information dans mon commentaire suivant.