Le jeu de rôle est un loisir hors de prix. Surtout pour les auteurs: un message de Romaric Briand (posté sur divers forums francophones), auteur du jeu de rôle Sens, explique pourquoi il décide de ne plus mettre son jeu à disposition gratuitement en ligne et se concentrer sur une version imprimée.

En très résumé, son calcul commercial initial n’avait pas pris en compte la promotion de son jeu, notamment par ses multiples déplacements en convention aux quatre coins de l’hexagone, comme on dit outre-frontière.

Le fait est que la présence en convention est un principaux outils de promotion de l’auteur de jeu de rôle, même pour des grosses boîtes: Internet ne touche qu’une petite portion du public rôliste et les magazines sont peu nombreux et, à mon avis, pas très lus non plus; qui plus est, la pub magazine coûte un prix prohibitif pour des résultats mal quantifiables. Deux choses fonctionnent à peu près bien: la présence en boutiques et en conventions.

J’ai néanmoins l’impression que Romaric se trompe de cible.

De mon point de vue, le jeu de rôle, ça eut (brièvement) payé, mais ça ne paye plus (depuis un moment). Je l’avais évoqué il y a un moment, mais s’il est raisonnablement facile pour le rôliste moyen de créer un jeu de rôle (qui n’a pas, dans ses tiroirs, un brouillon de Système Ultime et/ou un univers de jeu?), la production d’un livre de jeu de rôle est quelque chose de très coûteux.

Rédaction, illustration, mise en page et impression, ça chiffre lourd et le public-cible a tendance à être très pointilleux sur la qualité. On peut essayer de lui refourguer un torchon pas relu, illustré par votre petit frère, mis en page à la hache et photocopié sur PQ avec deux agrafes, mais, à moins de vouloir faire concept (Keupon RPG), je doute que ça fonctionne.

Du coup, je vois mal comment espérer que l’édition de jeu de rôle soit une activité rentable à plus ou moins court terme, quand on est dans un créneau de petite production (180 exemplaires). Les frais fixes (qui ne dépendent pas de la quantité produite) sont tels que ça flingue complètement tout budget qui se respecte. C’est pourquoi, si j’avais un conseil à donner à Romaric, ce serait “laisse tomber”.

Attention, quand je dis “laisse tomber”, c’est d’une part pour faire un effet de style facile, soit. Mais ce que j’entends par là, ce n’est pas de laisser tomber l’écriture et la production de jeu de rôle, mais d’oublier tout aspect commercial sur la chose. Écrire du jeu de rôle pour se faire plaisir d’abord, pour faire plaisir aux autres ensuite et, si ça peut rapporter quelques sous, c’est un bonus.

C’est une leçon que j’ai mis plus de vingt ans à assimiler. Ce n’est pas facile. Quand on publie son jeu, on se dit qu’on est un Artiste et que bientôt, oui, bientôt, à soi la gloire, la fortune, la satisfaction sexuelle et la place assise dans le métro. En fait, les deux derniers éléments sont sans doute les plus faciles à obtenir du lot. Quelque part, le jeu de rôle est un loisir ingrat pour les auteurs: ce n’est pas forcément évident, ça coûte cher et ça a un public restreint, pénible et sous-friqué (les rôlistes sont soit pauvres et avec beaucoup de temps libre, soit avec des revenus mais plus le temps de jouer). Faut vivre avec.

Je reste personnellement persuadé que, jusqu’à un certain point, il faut voir l’édition comme un loisir qui, très éventuellement, peut rapporter quelques sous. Je suis bien conscient que c’est un point de vue qui m’est très personnel et que j’ai beaucoup de chance d’avoir un boulot qui paie bien, des employeurs compréhensifs, accès à des ressources pas forcément très courantes.

Lorsque j’avais parlé de distribuer Tigres Volants en licence libre, parallèlement à son édition payante, c’est également dans cette même optique, ainsi qu’avec l’idée que c’est une méthode de dissémination qui est particulièrement bien adapté au jeu de rôle en tant que média.

Ce n’est certes pas la panacée, mais je pense que, pour des jeux à faible diffusion (si on doit vraiment chiffrer, moins de 1000 exemplaires et sans diffusion en boutique), ce genre d’approche combinée à de l’impression à la demande et quelques dizaines d’exemplaires pour la vente directe est largement suffisante.

Il suffit juste de ne pas se prendre la tête avec des histoires de fric. On dort mieux comme ça.

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