Ce que je n’aime pas lire en science-fiction

Malgré les commentaires de mes collègues et amis sur mon caractère aigri et ronchon – commentaires pas totalement dénués de fond et imputables à ma nature de Genevois et à mon âge – je pense être raisonnablement bon public. Certes, j’aime râler, mais il est rare que je tombe sur un truc qui ne me plaise pas. Rare, mais pas impossible: là, je viens de tomber sur un bouquin de science-fiction francophone   qui est limite douloureux.

Non, je ne vous dirai ni le titre, ni qui en est l’auteur, pas même où je l’ai acheté. Je n’ai pas contacté l’auteur et je doute qu’un démolissage en règle et nominal de sa prose lui fasse très plaisir (j’ajoute au passage que, comme je risque de le recroiser sur des salons et conventions, je ne suis pas spécialement enthousiaste à l’idée de me prendre des éléments de stands et des cartons de bouquins sur la physionomie).

Cela dit, je me permets de revenir sur le contenu, parce que je pense que c’est une bonne idée de dire ce qui ne me plaît pas. Notez bien que je ne dis pas “ce qui ne va pas” ou “comment ne pas écrire de la science-fiction”, même si c’est un peu ce que je pense. La raison est que c’est ce que je pense, précisément, et que j’ai conscience d’avoir des goûts qui ne sont pas forcément ceux de tout le monde. J’ai également conscience qu’un certain nombre des défauts dont je vais vous parler sont également présents dans ce que j’écris.

Le premier point est assez général: l’usage du passé simple. Je ne supporte pas. Je ne comprends pas pourquoi on écrit encore des livres au passé simple: c’est lourdingue, c’est complexe, c’est en plus une des conjugaisons les plus fumées de la langue française en dehors du subjonctif. Et pas dans le bon sens du terme: en science-fiction, ça donne l’impression de lire la Comtesse de Sévigné dans l’espace. S’il est une tradition de la littérature francophone qui doit mourir rapidement, c’est bien celle-ci!

Le problème suivant qui m’est apparu à la lecture, c’est le protagoniste. C’est un Gary Stu, l’équivalent masculin du Mary-Sue, et ça se voit, genre, au bout de trois lignes. Chrono. Alors bon, s’identifier à son personnage, un peu tout le monde le fait et, même dans le cas de personnages visiblement parfaits et dotés de toutes les qualités, si le contexte autour colle, ça peut faire quelque chose de décent. Regardez les premiers Honor Harrington, par exemple. C’est juste quand il a tous les avantages et culbute la jolie donzelle qui l’accompagne avant la fin du premiers tiers, ça commence à peser.

Après, il y a la technologie. Je parlais plus haut de la Comtesse de Sévignégur dans l’espace, ben au niveau matos que se trimbalent les personnages, c’est un peu ça. Vaisseau spatial? Check. Pistolets-laser? Check. Ordinateur de pilotage et de combat? Communications interstellaires? Systèmes d’information planétaires? Biotech? Nanotech? 404: page introuvable. Ça rappelle le jeu de rôle Traveller et son informatique, dépassée cinq ans après la parution du jeu (je crois d’ailleurs avoir fait pareil avec Tigres Volants).

À la limite, ça pourrait passer. Star Wars se débrouille très bien avec un niveau technologique par moment quasi-rudimentaire, mais dans ce cas, il faut éviter de se lancer dans des descriptions techniques qui mettent clairement en évidence que l’idée que l’auteur semble avoir de la technologie remonte aux premiers bouquins d’Asimov ou de Heinlein. On peut jouer sur le côté pastiche, mais il faut que ce soit clair: rien de pire qu’un second degré qui ne soit pas clairement perceptible.

Après, le problème devient assez flagrant quand on arrive sur une histoire qui semble avoir du mal à savoir où elle va. Genre, on commence par une mission d’enquête et, cinquante pages plus tard, on a une guerre stellaire majeure. Le gros souci est que, dans ce cas, il y a un changement d’échelle qui n’est pas le bienvenu; “plus” serait un mot plus juste: ça pouvait encore jouer dans les pulps d’il y a quelques décennies, mais maintenant, il paraît difficilement imaginable d’appréhender un personnage qui soit à la fois un enquêteur et aux commandes d’un vaisseau capable de rivaliser avec un croiseur spatial.

Si on veut jouer dans ce registre, on peut imaginer que le personnage va continuer sur le registre de l’enquête, se retrouver au milieu de l’invasion planétaire, éventuellement s’introduire dans le vaisseau-mère et le saboter de l’intérieur (avec un PowerBook 5300, histoire de rester dans le ton). James Bond ne part pas au combat à la tête d’une division blindée (même s’il lui arrive de conduire un char).

De façon générale, le bouquin dont je vous parle (ou pas) comporte son lot d’idées intéressantes, mais qui semblent systématiquement ignorées au profit d’une facilité de narration qui, assez rapidement, se ressent. C’est un peu l’équivalent de la partie de jeu de rôle ultra-linéaire, où absolument rien n’est prévu pour les personnages qui pensent de façon un peu latérale. J’ai presque été surpris de ne pas rencontrer de syndrome TGCM.

(Photo “Adventures in Space!” par Andrew Becraft via Flickr sous licence Creative Commons non-commerciale share-alike.)

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18 réflexions au sujet de “Ce que je n’aime pas lire en science-fiction”

  1. La narration au passé simple, c’est pourtant la plus classique et éprouvée. Passé simple / imparfait : la combo gagnante. Le passé composé fait trop “parler” et la narration au présent a aussi son lot d’écueils…

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    • La narration au présent a nettement ma préférence: elle rend le récit vivant, immédiat et imprévisible. Avec le passé simple, tu as l’impression que tout est déjà terminé.

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      • C’est vrai que sur ce point, je ne peux pas non plus abonder dans ton sens. Si je comprends ton point de vue.
        Malheureusement, en tant que traducteur, qui plus est littéraire, qui plus est spécialisé dans la SF, toutes les langues que je connais, en particulier celle avec laquelle je travaille, utilisent le passé de narration… Et traduire un texte au passé par un texte au présent, ça pose carrément un problème sens autant que de déontologie.
        Alors oui, la narration au présent, pourquoi pas, même si elle me semble réservée aux textes écrits à la première personne, elle ne pourra pas remplacer le passé, simple ou composé, parce que c’est un universel linguistique. “Asseyez-vous, je vais vous raconter une histoire…” Bizarrement, même si ça se passe un million d’années dans le futur, la convention conteur-public part du principe que les histoires qu’on raconte *se sont déjà passées*
        Cela dit, j’aime bien les histoires au présent. Avec sagesse et parcimonie, parce que je pense au contraire que l’utilisation du présent demande un génie littéraire que n’exige pas celui du passé (simple ?).

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  2. Pas d’accord sur le passé simple : bien utilisé c’est tout bonnement un mode essentiel ! Par contre pour le héros détective/guerrier c’est vrai que ruse et force combinées ca donne une sorte de super-napoléon qu’il faut pouvoir assumer dans un personnage…

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  3. Désolé, mais je vais aller également dans le sens des autres commentaires, la narration au passé, c’est bon mangez-en 🙂

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  4. Je dois admettre que le point de vue du temps de la narration est sans doute le plus discutable et j’abonde dans le sens des commentaires déjà écrit. J’ai tendance à sombrer dans la facilité du passé simple/imparfait parce que 95% des récits que je lis depuis 30 ans sont ainsi écrits. S’il est moins aisé de se mettre au couple présent/passé composé, c’est autant une question de culture que d’éducation littéraire.
    Je ne dénie pas un certain génie à ceux qui parviennent à raconter leurs histoires au présent, mais je ne les envie pas. Je m’y suis essayé et m’y suis cassé les dents quand je me suis rendu compte que le passé simple revenait inconsciemment dans mon écriture et qu’il me fallait tout recommencer.
    Après quoi, la facilité du passé simple n’est pas le gage de la réussite, mais je ne trouve pas que le choix du temps de la narration soit un élément déterminant de la réussite d’une oeuvre littéraire, ni même un critère d’appréciation de l’écriture.

    Mais comme tu le soulignes, Stéphane, tu n’es pas très “normal” 😛

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    • Ce n’est pourtant pas la conclusion à laquelle j’étais arrivée avant-hier. 😉

      Mais, sur ce sujet précis, je suis d’accord et j’assume entièrement.

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  5. Au contraire moi, ça ne me dérange pas. Moi ce qui m’énerve c’est la hard science mal faite ( si tu n’as pas une licence de physique tu peux pas comprendre le bouquin ), les reconstructions post modernes et les bouquins engagés.
    Par contre le coté pulp j’adore. La science fantasy aussi d’ailleurs et d’aucun disaient que c’était l’avenir de la SF et je dis chiche.

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  6. Je crois qu’il n’exste tout simplement pas d’alternative au passe simple. C’est un des elements de la langue. Il est effectivement possible de se lancer dans une narration au present, mais les deux ne sont pas equivalents. Le passe simple fait peut etre langue de Segur, mais il fait aussi Andre Malraux, qui a ecrit parmi les pages d’action les plus cinematographiques qu’on puisse trouver dans la litterature francaise

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  7. La réflexion sur le temps de narration est intéressante. C’est vrai qu’utiliser le passé simple à la première personne est devenu un peu désuet. Que reste-t-il ? Le présent et le passé composé. Mais le présent manque de recul et le passé composé est difficile à manier.

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    • Le présent manque peut-être de recul, mais en même temps, pour un récit à la première personne, ça se justifie, non?

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