La semaine passée, la plateforme de jeux itch.io a annoncé une nouvelle politique visant à réduire la visibilité (lire: complètement invisibiliser) les contenus « adultes ». Oui, encore une plateforme qui va taper sur les créateurs parce que Pensez Aux Enfants!!!
(Au passage, si les réacs arrêtaient de penser aux enfants, on aurait peut-être moins d’affaires de pédophilie dans ces milieux.)
Ce n’est pas la première fois. PayPal en son temps avait déjà tapé sur des contenus jugés obscènes et Patreon avait tenté de faire de même une première fois, avant d’ailleurs de revenir à la charge en scred, dans la foulée d’itch.io. Je l’avais raté à l’époque, mais Steam aussi.
Pourquoi? Eh bien parce que des réacs – en l’occurrence, le groupement australien Collective Shout – a mené une grosse action publique contre les opérateurs de paiement comme Stripe ou les opérateurs de cartes de crédit. Et, bien évidemment, le filtrage de ce qui est « adulte » ou non se fait avec le même discernement que les « frappes chirurgicales » des pays occidentaux.
Déjà, en soi, c’est un problème. Ce n’est pas comme si ces contenus se cachaient derrière des façades innocentes: tous étaient marqués « NSFW », not safe for work (comprendre: à ne pas regarder au bureau).
Et en plus, on a affaire à des milieux que l’on qualifiera de conservateurs par amour du pléonasme, pour lesquels l’existence même de personnes des spectres LGBTIAQ+ est une obscénité. Et ne croyez pas être en sécurité si vous n’avez pas de contenu licencieux: ce genre de bestiau a tendance à finir par tout considérer comme une obscénité. Même Jésus.
Une fois encore, ça montre le problème des plateformes pour les créateurs – et itch.io n’est pas la pire dans ce domaine. Placer ses billes dans un système centralisé, c’est risquer ce genre de censure en permanence.
Je ne veux pas jeter le blâme sur les créateurs, qui ont sans doute mieux à faire que de gérer un milliard de trucs plus ou moins techniques, mais je pense qu’il leur serait profitable (au sens propre comme au sens figuré) de s’intéresser à des solutions moins dépendantes des grandes plateformes, surtout des grandes plateformes basées aux USA.
Certes, il y a la question de la visibilité, mais là encore, il faut voir la réalité en face: la merdification avance à grands pas et, au final, je ne suis pas certain que le créateur lambda ait plus de visibilité sur un blog perso que sur une page Facebook.
Du coup, ce serait quoi la solution? J’en avais déjà parlé avec L’Oasis, il y a quelques années, mais je reste persuadé que les créateurs ont tout à gagner à avoir leur espace à eux – blog, site, galerie – sur un espace dédié. Les plateformes peuvent avoir une utilité, de plus en plus réduite de par leurs efforts pour monétiser l’attention, mais seulement pour promouvoir les contenus publiés ailleurs. Pas mal de créateurs sont d’ailleurs en train de revenir vers des méthodes de diffusions que l’on croyait obsolètes, comme les mailing-lists.
Il y a des plateformes difficilement contournables, ne serait-ce que pour des questions techniques – je pense notamment à l’hébergement de vidéos ou de diffusions en direct – mais là encore, il existe des options (Peertube, par exemple).
Quant à la monétisation, je pense que le mieux est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et multiplier, autant que faire se peut, les sources potentielles: plateformes de dons comme Patreon et Liberapay, dons directs, etc. Par contre, il faut apprendre à se méfier des plateformes qui commencent à se comporter comme des réseaux sociaux et proposent d’héberger eux-mêmes des contenus – et, si on publie des contenus potentiellement tendancieux, rester discret sur ces plateformes.
Idéalement, il faudrait qu’un joue se crée une plateforme décentralisée, basée sur des technologies comme ActivityPub, qui permette aux créateurs de concilier discrétion et visibilité. Ce qui est un peu la quadrature du cercle, je vous l’accorde.
Affichage interdit, rue de la Servette. Photo: MHM55 via Wikimedia Commons sous licence Creative Commons CC-BY-SA.


01/08/2025 at 09:25
Hello, merci de remettre un peu de lumière sur tout ça,
Ce qui se passe avec Itch.io est inquiétant. Jusque-là, on pouvait penser que la plateforme faisait partie des rares espaces réellement ouverts, mais les récents signaux montrent que même là, la marge de manœuvre se réduit. C’est une piqûre de rappel : l’indépendance réelle n’existe pas tant qu’on dépend d’infrastructures de paiement contrôlées par des entités frileuses (voire franchement hostiles) à tout ce qui sort de la norme.
Et pour les créateurs, c’est la double peine : il faut être visible pour espérer vendre, mais en restant suffisamment discret pour ne pas attirer l’attention des ligues de vertu qui rôdent. Jouer à cache-cache avec les algorithmes, les conditions d’utilisation floues et les moralistes du net, c’est épuisant. Et au moindre faux pas, tout peut sauter.
On manque cruellement de lieux vraiment autonomes, à la fois pour publier, toucher un public, et recevoir du soutien financier sans passer par les tuyaux surveillés des gros acteurs. Le Fediverse avance, mais côté monétisation c’est encore fragile. Et les solutions alternatives (Liberapay, etc.) sont encore trop peu connues ou peu intégrées.
Bref, merci encore de mettre des mots là-dessus. Il va falloir rester vigilants, solidaires, et sans doute inventer ensemble de nouvelles manières de faire.
01/08/2025 at 10:57
Bien d’accord sur la nécessité d’avoir un espace personnel et dédié, comme lieu de rencontre et où l’on peut encore avoir une impression de contrôle. Le dilemme du volume de vente est à mes yeux d’entrepreneur mort depuis longtemps, le temps passé à plaire aux algorithmes et la nécessité de rester à jour sur leurs CGU changeantes fait qu’il est impossible d’avoir une réelle liberté créative, plus encore avec la polarisation des opinions et les hordes de trolls en maraude constante. Au final, je me suis recentré sur du bouche à oreille local afin de proposer mes prestations ludiques en ruralité, usant des groupes Facebook comme support. Côté communauté rôliste et autres réseaux sociaux, je n’attends absolument rien et me contente de relayer des articles – ce qui n’empêche pas les haters, mais ils n’ont pas de conséquence sur mon professionnel. Au final, il faut je pense trouver le moyen de ne pas dépendre des plateformes de milliardaires fascistes, c’est chronophage et je doute de leur intérêt pour des créatifs dans le milieu culturel.