Qui a peur du grand méchant Vert?

Dimanche prochain (bon, techniquement avant ça, puisqu’à peu près tout le monde vote par correspondance, mais dimanche est la date officielle), les Genevois vont voter sur cinq objets cantonaux, dont deux à connotation écologiste qui, je dois l’avouer, me laissent perplexe tout en illustrant assez bien un des problèmes actuels de l’écologie. Le premier projet concerne l’établissement d’un “éco-quartier” sur les terrains agricoles des Cherpines et le second, une initiative populaire pour la promotion de la “mobilité douce” (cycles et piétons).

Le premier cas met en lumière un des problèmes principaux et récurrents du canton: le manque de logement. Pour ceux qui ne connaissent pas Genève, c’est un petit territoire très urbanisé (plus de 450 000 habitants dans 280 km2) et quasi-entièrement enclavé; donc, construire des logements est en théorie une Bonne Chose. En pratique, le projet ferait disparaître près de 60 hectares de terres agricoles très fertiles et inclut également une zone industrielle; bonjour l’éco-quartier! Du coup, les écolos et les paysans râlent, tandis que les partis de droite dénoncent ces salauds de Khmers verts qui empêchent les Genevois de trouver du logement.

Le second est un peu différent car il s’agit d’une initiative populaire, objet référendaire qui par nature fait rarement dans la demi-mesure. Il demande que toutes les routes principales et secondaires du canton soient aménagées avec des pistes ou des bandes cyclables et que des aménagements pour les piétons. Objectivement, cette initiative est un tantinet irréaliste et ses opposants ont là encore beau jeu de dénoncer le méchant lobby écolo qui veut bannir les substituts phalliques voitures du canton, tout en soulignant qu’il y a déjà beaucoup de pistes cyclables dans le canton, ce qui est vrai.

Dans les deux cas – surtout le premier – le problème est qu’on repeint en vert des choses qui ne le sont pas. On baptise “éco-quartier” un projet qui est loin d’en être un en lui-même et, qui plus est, qui va avoir un impact non négligeable sur une agriculture de proximité. On mentionne des pistes cyclables qui ont certes le mérite d’exister, mais qui ne donnent à l’usager que je suis aucune impression de projet concerté ou de plan général; on met de la peinture jaune en bord de route et on baptise l’ensemble “piste cyclable” sans se soucier de continuité.

L’autre point est que oui, les projets écolos sont souvent des projets radicaux, qui impliquent des changements sociétaux plus ou moins profonds – comme par exemple de construire (ou aménager) les villes pour des cyclistes ou des piétons plutôt que pour des voitures, ou construire des logements en privilégiant la qualité de vie et l’environnement plutôt que la quantité et l’urgence. Ce sont des choix de société et, en tant que tels, ils ne plaisent pas à tout le monde; j’ai personnellement tendance à penser que c’est une bonne idée.

Du coup, même si je ne suis pas d’accord avec l’entièreté des arguments, je voterai dans le sens de ma fibre environnementale; ce sera plus un vote idéologique que pratique et, si le résultat est contraire à mes choix personnels, j’en ferai moins une maladie que si, par exemple, le chef du MCG est élu à l’exécutif communal de ma ville (oups…).

(Image: “Critical Mass, San Francisco, 29 avril 2005”, par Michael W. Paranteau; domaine public, via Wikimedia Commons.)

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9 réflexions au sujet de “Qui a peur du grand méchant Vert?”

  1. Bon ben je ne suis pas assez sur Genève pour avoir été dans le détail de vos votations (on a déjà assez à faire chez nous), mais ces questions sont intéressantes.

    Sur le sujet des Cherpines… Tout d’abord, qu’est-ce qu’un eco-quartier? Difficile à définir, il y a différentes visions du truc et c’est pas toujours clair, même pour ceux qui les promeuvent. D’ailleurs si on regarde les “eco-quartiers” existants en Europe, on a quand même des typologies et aménagements très divers. Ma fibre verte me fait aussi pencher pour un non à ce changement d’affectation ; cet endroit est sûrement une de vos dernières grandes zones agricoles à vue de nez, faut conserver tout ça. Par contre, il est nécessaire d’empoigner le bouzin autrement, d’agir sur les friches urbaines, sur les proprios qui thésaurisent comme des salauds les terrains constructibles pour spéculer, sur des plans de quartiers globaux pour optimiser l’occupation du sol. Mais le choix est difficile, quand on voit le nombre de personnes qui peinent à trouver un logement convenable. Sujet ardu.

    Sur la mobilité douce. Je pense que, comme beaucoup d’initiatives populaires, elle est effectivement radicale (pas au sens du PLR bien entendu) volontairement. Le but de ces initiatives est souvent de lancer un débat, de discuter d’un sujet (et on sait que la mise en place de mesures, même en cas de refus, est proportionnelle à la radicalité de l’initiative). Si le gouvernement pense vraiment que le sujet est important, à lui de venir avec un contre-projet valable, répondant aux attentes et réalisable. En l’occurrence, c’était à lui de proposer un plan d’ensemble de circulation de mobilité douce. Il ne sert à rien de mettre du cyclable (les bonnes pistes ou les horribles bandes) partout sur tous les axes routiers. Il s’agit de définir des itinéraires adaptés à la mobilité douce, de travailler sur la continuité et la dangerosité de ceux-ci (déjà que vous avez de la chance, chez vous, ça monte pas trop). En l’occurrence, si le gouvernement/parlement n’ont pas proposé de contre-projet, il y a deux options : soit ils considèrent le sujet comme secondaire, soit ils pensent qu’il est bon tel quel.

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  2. Je pense aussi qu’un quartier écologique devrait être en priorité construit au centre – s’il faut une voiture pour s’y rendre ou y vivre, c’est une aberration. De ce que j’ai vu, les éco-quartiers sont d’abord habités par des gens relativement jeunes et formés, hors ceux-ci ont, faute d’autre chose, du s’établir en dehors de la ville, voire du canton. Mais je vois mal le moindre changement survenir dans la ville de Genève, tous les développement récents ont eu lieu dans la couronne…

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    • Je suis d’accord. Le “micro” éco-quartier d’Artamis répond mieux à ces critères, mais c’est une exception qui n’est sans doute pas prête de se répéter.

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  3. Un eco-quartier se veut plus qu’écologique en général. Plutôt orienté “développement durable” sous ses diverses formes y compris sociales. Dans ma définition de l’eco-quartier il y a des logements abordables, pas des trucs que pour les jeunes cadres dynamiques aux dents longues.
    Par contre, il peut être hors du centre ; si des transports publics adéquats, accessibles et fiables sont développés pour (cf à Lausanne le futur quartier des Plaines du Loup et le futur tram).

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  4. Très intéressant comme billet. J’adhère passablement pour le côté mitigé.

    Le plan de quartier possède passablement de défauts il est vrai. Je ne râlerai personnellement pas trop pour la disparition des zones agricoles, l’agriculture intensive est aussi écologique que l’industrie sidérurgique d’une part et préférer un étalement de Genève sur de grandes distances (en France ou dans le canton de Vaud) n’est pas préférable au sacrifice de quelques hectares.
    Dans le cadre du plan Franco-valdo-genevois (qui focalise actuellement une bonne part de l’attention des géographes) les agriculteurs se sont unis pour déclarer d’une voix unanime “utiliser des terres oui, les gaspiller, non”. En conclusion, je pense que cet aménagement est un pas. Peut-être pas un très bon ou très grand pas, mais un pas indispensable pour calmer les autres communes du plan F-V-G qui râlent sec sur le fait que Genève n’a pour l’instant tenu aucun engagement en matière de nouveaux logements (créant un étalement urbain galopant sur les autres communes). Néanmoins il faudra à long terme taper plus fort qu’avec un unique projet.

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    • Je n’avais pas vu ça sous l’angle de la région franco-valdo-genevoise et c’est vrai que c’est aussi un problème.

      Cependant, pour la question de l’agriculture, je peux me tromper, mais il me semble que sur ces terrains se trouvent actuellement des projets d’agriculture contractuelle, qui sont assez éloignés de l’agriculture intensive.

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      • en même temps, c’est mon boulot ^^

        Pour l’agriculture, je n’ai pas beaucoup regardé de près. C’est très possible qu’il y aie ce genre de projet, je te fais confiance. Après entre agriculture biologique et zone de biodiversité, il y a la différence majeur que l’un ne fait pas de mal et l’autre est bien (d’un point de vue purement écologique s’entend. A titre personnel, je trouve qu’avoir à manger est assez bonne chose, somme toute).

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  5. Pour ceux que ça intéresse encore, le déclassement des Cherpines a été accepté — sans grande surprise — par plus de 56% des votants. La surprise vient par contre de l’initiative sur la mobilité douce, qui a également été acceptée (mais de justesse).

    Reste à voir comment tout cela va se concrétiser.

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