L’espace ne nous sauvera pas

Une tendance assez agaçante de ce début de XXIe siècle, c’est le solutionnisme technologique. L’idée qu’on peut résoudre tous les problèmes de notre époque en balançant plus de technologie dessus. La conquête spatiale est un élément emblématique de cette tendance. Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça.

À l’origine de ce billet, il y a ce message, sur Mastodon:

I think there are a lot of basic nerds who don’t understand how space colonization is not an escapist fantasy, of fleeing a dying earth to inflict industrialism on another world, but a utopian vision of a stable earth that can field and support space assets. you’ll never get a working colony on another planet without a highly coordinated supply chain that originates on our very own fucking gaia

– Garbados, sur Mastodon

Traduit par mes soins, ça donne quelque chose comme

Je crois qu’il y a plein de nerds lambda qui ne comprennent pas que la colonisation spatiale n’est pas une fantaisie escapiste, genre quitter une terre mourante pour aller infliger notre logique industrialiste à un autre monde. C’est plutôt une vision utopiste d’une terre stable qui peut déployer et soutenir une présence dans l’espace. Vous n’obtiendrez jamais une colonie fonctionnelle sur un autre monde sans une chaîne logistique complexe qui a son origine sur notre putain de Gaia.

Le message original n’est peut-être pas des plus élaboré. Franchement, il est écrit avec les coudes et ma traduction n’est guère mieux. Mais le fond du problème reste: penser que la conquête spatiale va être la solution à toutes les calamités présentes et à venir est illusoire. Sans une planète dans un état raisonnable, capable de soutenir la logistique incroyablement complexe d’une colonisation interplanétaire, cette dernière a zéro chances.

Donc, non, l’espace ne sauvera pas la planète. Parce qu’en fait, c’est le contraire.

Quelque part, c’est un peu dommage. Je veux dire, une part non négligeable de notre imaginaire repose sur ce genre de clichés. Mais en même temps, c’est de l’imaginaire. On a le droit de rêver à des trucs impossibles, du genre « la croissance infinie existe et le capitalisme néolibéral nous propulsera vers les étoiles ».

Bon, si on prend la phrase au-dessus de façon très littérale, c’est assez probable, mais pas vraiment souhaitable.

Cela dit, il est aussi possible d’imaginer des avenirs plus réalistes, mais tout aussi radieux. Récemment, Cory Doctorow disait qu’il était très facile d’imaginer des alternatives au capitalisme (TINA vs TAPAS), mais beaucoup plus difficile d’imaginer comment y arriver. Mais ça vaudrait peut-être la peine de s’y atteler.

L’espace ne nous sauvera sans doute pas – en tout cas pas à court, ni à moyen terme (sauf si on est géologue) – mais l’imagination, c’est plus probable.

Image: Lancement du satellite AsiaSat 6 par la fusée SpaceX Falcon 9 , le 7 septembre 2014, photo via Wikimedia Commons, sous licence Creative Commons zéro (CC0).

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10 réflexions au sujet de “L’espace ne nous sauvera pas”

  1. Quand j’étais ado, je pensais que l’espace serait la solution à tous les maux de la Terre. Mais non c’est un leurre effectivement et si les voyages touristiques se poursuivent dans l’espace, nous crèverons de chaleur bien plus vite que prévu sur notre petit caillou. N’empêche la colonisation spatiale me fait toujours rêver, parce que je suis un nerd.

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    • C’est très exactement ça.

      Plus précisément, on peut encore rêver à la conquête de l’espace. Mais on ne peut pas dire qu’il faut aller dans l’espace pour sauver la planète. Au contraire: il faut sauver la planète pour pouvoir aller dans l’espace.

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  2. Demain, on me dit : OK on a besoin d’un volontaire pour un vol habité sans retour bah… Je dis oui, honnêtement. (tant qu’on me laisse une clé USB bien chargée)

    Mais effectivement, ce ne doit pas être une fuite vers l’avant.

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    • Heu nan, c’est pas toi qui montera dans la fusée, c’est moi, priorité aux vieux. Et du coup ben le bilan carbone du vol, je n’en aurait plus rien à foutre puisque je crèverai sur Mars comme un con en mangeant des patates 😉

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  3. Le solutionnisme, j’adore. Un problème ? Une solution toute trouvée. Le solutionnisme amène une certaine binarité d’esprit. Le fameux “c’est ça ou rien”.

    Oui, il y a une effervescence autour du spatial. Effectivement fantasmée. Il en est de même au sujet de l’écologie : le capitalisme vert. Là aussi, c’est du solutionnisme. L’utopie d’une France, par exemple, 100% électrique dans son parc automobile. Le déploiement de l’éolien sans penser recyclage des vieux parcs (parce qu’une dalle en béton pour une éolienne, ce n’est pas rien !). Idem pour les panneaux solaires, photovoltaïques et j’en passe. Et les plus démunis seront les premiers à faire les frais de ces politiques absolument pas élaborées pour du local.

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  4. L’évolution de la série (par ailleurs bien agréable à regarder) The Expanse m’a laissé rêveur: la première saison, géniale, évoquait une colonisation de l’espace qui donnait une impression de bricolage, de ressources limitées: les expatriés vivaient dans des stations moches et inconfortables, tout semblait “sur le fil”, on sentait un effort vers un (relatif) réalisme… les saisons suivantes ressemblent de plus en plus à Star Wars (comme si on avait dit aux showrunners: “vous ne pouvez pas continuer à montrer des gens enfermés dans des boites, il faut plus d’action! plus d’explosions!”). Retour vers le Futur fantasmé.

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    • Les enjeux changent, mais je trouve que le côté “bricolé” reste là. Quelque part, ça reste dès le départ du futur fantasmé, avec une Mars avec des structures en dur et en cours de terraformation.

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  5. Et justement, scientifiquement, il y a des problèmes qu’on ne peut résoudre simplement, comme celui qui fait que notre corps n’est simplement pas conçu pour tout faire avec une gravité différente que celle de la terre. Pour recréer une gravité similaire, etc, on imagine l’énergie nécessaire, donc le gaspillage, la chaîne d’appro. Bref, la solution de l’espace c’est bien mignon sur du court terme (1-2 ans) mais pas pour y vivre, s’y reproduire , etc…. A moins que l’évolution s’en mèle mais là, on est dans de la grosse fiction.

    Donc les Elon et autres qui rêvent de ça comme la solution ultime se heurtent à leur propre idéologie de la croissance sans fin. La Terre est toujours un espace fini et pour longtemps.

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  6. Rayonnement cosmique, tempête solaire, gravité, perte osseuse, maintenir une masse musculaire pour se tenir debout à l’arrivée, nourriture, cohabitation en vase clos pendant trois ans mini et surtout poser sur Mars un truc plus lourd qu’un rover avec du monde à bord sans transporter trop de carburant. Facile. Demain on décolle. N’empêche, j’espère voir le premier homme sur Mars, j’ai assisté au premier alunissage et ça m’a marqué à vie.

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