Génocide 2.0 – un riant avenir signé Charles Stross

Charles Stross m’inquiète un peu: soit il est sujet à des fantasmes morbides, ce qui n’est pas très rassurant, soit il est au contraire très lucide, ce qui l’est encore moins. Quoiqu’il en soit, son dernier billet de blog, intitulé Happy 21st Century!, est un nouvel exemple de sa tendance à nous dépeindre des lendemains qui chantent des requiems.

Le cœur de son billet, c’est que, tel que c’est parti, le XXIe siècle va être le théâtre de massacres sans précédents. La particularité, c’est que ces tueries vont être gérées de façon distante, partiellement automatisées et, de façon générale, hors de la vue des citoyens des nations développées, noyés dans leurs propres bulles de filtre et surveillés par des dispositifs de contrôle social.

Il nous décrit un avenir où les réfugiés climatiques seront abandonnés à leur sort, voire purement et simplement éliminés pour ceux qui essayeront activement d’y échapper. Un avenir où les systèmes de crédit social créeront une nouvelle classe de sous-citoyens en la personne des contestataires imprudents, lesquels finiront tôt ou tard dans des complexes pénitentiaires ravagés par la tuberculose et la violence des gangs.

“On n’a pas besoin de construire des camps de concentration entourés de barbelés quand on peut transformer la société en un panoptique assisté par ordinateur avec des punitions automatiques en cas de non-conformité.”

C’est le fascisme 2.0 dans sa version génocidaire, mais sous couvert de “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde” mâtiné de “ils l’ont bien cherché” et visant tout ce qui n’est pas blanc, riche et/ou dans le rang.

Charles Stross pense que les néo-nazis (et assimilés) vont y venir assez rapidement quand ils finiront par comprendre que le changement climatique est 1) inéluctable, 2) provoqué par l’activité humaine et 3) va leur retomber sur la tête. Leur solution, soutenue par les classes ultra-riches de la société, sera d’éliminer les 50-90% “d’inutiles”.

Indice: les inutiles en question, c’est aussi vous et moi – ne serait-ce que parce que vous aurez lu cet article (désolé, pas désolé). Je rappelle cette citation: en cas de fin du monde, vous ne serez pas Mad Max, mais un des crânes sur la pile d’ossements à l’arrière-plan.

Comme le dit un des commentateurs, Donald Trump est le hérault qui annonce des âges sombres. Si on a beaucoup, beaucoup de chance, il sera juste un avertissement. Mais on n’en prend pas le chemin.

Et, pour les rôlistes qui s’en souviennent, cela constitue une inspiration modernisée pour le jeu de rôle Heavy Metal – plutôt oubliable de façon générale mais douloureusement prescient sur certains points de son contexte, notamment les nations développées transformées en forteresses. Un peu plus glauque que l’original, soit, mais pas tant que ça, quand on y pense.

(Photo: ossuaire de Kutná Hora, République tchèque, image sous licence CC0.)

Pour soutenir Blog à part / Erdorin:

Blog à part est un blog sans publicité. Son contenu est distribué sous licence Creative Commons (CC-BY).

Si vous souhaitez me soutenir, vous pouvez me faire des micro-dons sur Ko-Fi, sur Liberapay ou sur uTip. Je suis également présent sur Patreon et sur KissKissBankBank pour des soutiens sur la longue durée.

3 réflexions au sujet de “Génocide 2.0 – un riant avenir signé Charles Stross”

  1. Si on admet qu’une telle prédiction est juste, le problème d’une intervention de ce genre est qu’elle est éminemment paradoxale. Si l’esprit humain (et celui de nos compatriotes aveugles aux maux de ce monde plus particulièrement) tend à vouloir être rassuré, il voudrait classer cette vision cauchemardesque comme surréaliste et donc simplement pessimiste, lui donnant donc plus de vérité puisqu’aucune action ne sera tentée pour l’empêcher. D’un autre côté, si tout est fait pour l’éviter, cette vision deviendra un mensonge.

    Se situer dans le camp de ceux qui y croient et ne pas tenter de l’empêcher me paraît être une preuve de stupidité plus qu’un rejet du paradoxe. L’Histoire a montré plus d’une fois que l’Humain était stupide.

    Répondre
    • C’est un peu le “syndrome de la grenouille”, puissance turbowhatmille. On commence à voir des comportements comme ceux décrits par Stross se mettre en place: les migrants abandonnés à leur sort en Méditerranée ou dans les Alpes (avec les discours genre “das Boot ist voll”), les complexes pénitentiaires privés aux USA, le “crédit social” mis en place en Chine, les politiques sécuritaires parce que terrorisme (puis utilisées principalement pour le droit commun), etc.

      Stross extrapole à partir de là; je pense qu’il exagère un peu parce que c’est un auteur de fiction, que les scénarios-catastrophes c’est un peu son beurre (et aussi peut-être parce que ça fait vendre), mais ses prédictions font froid dans le dos parce qu’elles paraissent crédibles.

      Ce n’est même pas une question de stupidité, mais plus une question des glissements invisibles, car discrets et progressifs. Ça, plus un système social global qui n’incite pas à prendre des mesures préventives.

      Répondre
      • Non, ce n’est pas une question de stupidité. Mais le premier avis qu’un non-historien aura en se penchant sur son passé, notre présent, c’est de dire : mais qu’est-ce qu’ils ont été cons. A l’échelle de l’humanité ruinant sa planète et ses prémisses de grandeur sociale, il aura raison.

        Répondre

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.