« Damnificados », de JJ Amaworo Wilson

Au milieu du bidonville, il y a une tour. Un gratte-ciel de soixante étages abandonné, jusqu’au jour où il est investi par les plus démunis des démunis, les Damnificados, qui donnent son titre à cet ouvrage de JJ Amaworo Wilson, découvert via le blog Juste un mot.

Si l’ouvrage existe en version française, sous le titre Les Dévastés, je l’ai lu dans sa version anglaise, définie comme novel, à savoir roman. Ce qui est vrai… mais pas tout à fait: Damnificados ressemble plus à un conte, avec des aspects fantastiques sur lesquels je vais revenir.

À l’origine, il y a une histoire vraie: le Centro Financiero Confinanzas, au centre de Caracas, inachevé et squatté par jusqu’à 5 000 personnes, avant d’être évacué en 2014. Endommagé par un tremblement de terre en 2018, la tour, dite aussi “Tour de David”, est à ce jour encore inachevée et inoccupée.

Dans Damnificados, c’est la « Torre de Torres », bâtie (littéralement) sur un tas d’ordures par un homme d’affaire véreux, disparu dans des conditions troubles, mais auquel ont succédé ses deux fils, pas moins ripoux que le père.

La ville n’est jamais nommée, le pays non plus. On peut l’imaginer dans une nation d’Amérique latine, mais particulièrement bigarrée, avec un enchevêtrement de langues et de cultures. Est-on seulement sur Terre? Ou dans un avenir post-quelque chose où nations et cités sont devenues des notions floues?

Toujours est-il que les damnificados du titre vont commencer à bâtir quelque chose dans cette tour, une forme de société probablement pas idéale, mais bien meilleure que celle qui leur était promise. À l’origine de ce mouvement, il y a Nacho, personnage principal de l’histoire, qui compense ses infirmités par une érudition hors du commun.

C’est lui qui va organiser la tour par étages, encourager les diverses entreprises qui s’y créent, coordonner les bonnes volontés dans l’adversité. Et aussi qui va devoir lutter contre la tentation de devenir un chef de guerre face à la menace des frères Torres.

L’auteur se permet aussi quelques retours en arrière, sur les « guerres des poubelles » qui ont marqué l’histoire des bidonvilles. En apparence anecdotiques, ces interludes posent également quelques éléments du contexte et pavent également la route vers la conclusion de l’histoire.

En plus de baigner dans un flou géographique, Damnificados flirte souvent avec le fantastique. Dès le début, les nouveaux habitants découvrent, dans l’entrée de la tour, une meute de loups emmené par une bête à deux têtes. Puis ils affrontent un déluge quasi-biblique, d’où émergent des têtes de pierre géantes. Il y a aussi des crocodiles géants, des fantômes, des trips psychédéliques et même des miracles.

Pour ma part, c’est vraiment cette ambiance étrange qui m’a marqué dans Damnificados – et c’est aussi pour cela que je pense plus à un conte qu’à un roman. Cela dit, l’appellation n’est pas complètement usurpée, non plus: il y a une intrigue, ou à tout le moins une tension, ainsi que des personnages forts.

Au-delà de ça, il y a une réflexion plutôt subtile sur la force de la culture, de l’éducation et de la solidarité face à un monde hostile, entre gangs ultraviolents et autorités corrompues. Et peut-être aussi sur la force de la foi – ou, à tout le moins, d’une certaine forme de foi, éloignée des dogmes.

Bref, j’ai beaucoup aimé Damnificados; c’est un livre assez atypique dans sa forme et dans son fond, avec une écriture impressionnante, jonglant souvent avec les différents langages. Un peu comme une Tour de Babel où règnerait une certaine forme d’entente plutôt que la discorde.

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